490 TRENTE ANS D’iNDÉPENDANCE puis, montrant à ses enfants cette minuscule prairie, il leur dit : « Souvenez-vous de vos ancêtres et de vos humbles origines; gardez ce pré : c’est l’herbe de modestie... » Certes, les Bulgares d’aujourd’hui ont le droit d’être fiers de l’œuvre qu’ils ont accomplie, de la patrie qu’ils ont ressuscitée, des lois qu’ils ont établies, de l’instruction qu’ils ont répandue, des établissements scientifiques qu’ils ont fondés, de l’armée où tous servent avec abnégation ; qu’ils se défient cependant d’eux-mêmes et se gardent d’oublier que ce qui fait la force d’un pays ce ne sont ni ses institutions, ni ses lois, mais son âme. Or, si l’on n’y prend garde, lame bulgare pourrait être menacée. Une génération nouvelle grandit, qui n’a pas connu les temps de souffrances et de luttes; toute une jeunesse intellectuelle s’agite; élevée dans les Universités de l’Europe occidentale, ou, en Bulgarie même, d’après les méthodes européennes, elle a pris, des sciences et des philosophies modernes, les hypothèses audacieuses et les théories extrêmes, mais elle n’a pas acquis en même temps le sens critique qui en pourrait atténuer la virulence; elle croit avec enthousiasme au progrès nécessaire et continu des institutions, des idées et des mœurs ; elle a perdu la faculté de voir les réalités, la Bulgarie si jeune encore, inachevée, plus affamée de calme et de bon gouvernement que de quotidiennes réformes ; elle est impatiente et, en politique, l’impatience s’appelle souvent révolution. Beaucoup de ces jeunes gens, fils de petits propriétaires, élevés dans les écoles ou les collèges, restent, avec une mentalité primaire, des demi-savants qui désertent la terre et à qui la carrière encombrée de fonctionnaires n’offre pas de débouchés. D’autres, anciens élèves des universités, aspirent aux profes-