272 L’EUROPE ET LA QUESTION D’AUTRICHE une méconnaissance complète de leurs véritables intérêts, ont su réveiller en France contre eux. A Paris, où tant de gens vivent dans la pensée que la politique française doit de toute nécessité choisir entre Londres et Berlin, — point de vue qui mériterait une longue discussion, — on a penché un instant vers l’Allemagne. On s’est bercé, sur les bords de la Seine, du rêve de réaliser une entente franco-russo-allemande contre l’Angleterre. Des projets vagues ont circulé. On n’en voyait pas très bien la portée précise, la durée et les avantages réels; mais ils flattaient les légitimes indignations du moment, et ils faisaient le jeu de tous ceux qui, pour des motifs divers, avaient intérêt à persuader aux Français que le grand appareil militaire de la République était désormais moins nécessaire que jadis. Dans toute cette période, l’empereur allemand a appliqué avec une habileté remarquable le précepte de Machiavel : u Si l’on vise un ennemi puissant que l’on se propose d’attaquer un jour, il est sage d’user avec lui en attendant de bons procédés et de détourner son attention en menaçant son voisin. » Pas un instant, donc, Guillaume II n’a cessé de suivre sa ligne de conduite habituelle, mais il a laissé croire qu’il allait incessamment prendre position contre l’Angleterre. Les Français étaient dans l’attente; il a conservé son attitude chatoyante; il a continué de les accabler de ces prévenances légères, sans fond comme sans conséquences, mais qui séduisent les âmes sensibles. Il est facile aujourd’hui de dresser le bilan de cette politique. En juillet 1899, le gouvernement français envoya Y Ibis à Gestemünde, et, le même mois, Guillaume II monta à bord de Y Iphigénie, à Bergen. L’événement était si considérable que la presse allemande osa à peine y croire. « L’empereur allemand sur un navire d’État français ! Des aspirants de