AU SEUIL Dü XX' SIÈCLE 385 Il n’est point douteux, en tout cas, que cette conception de l’Autriche, objet d’échange éventuel, a pu s’acclimater facilement en France, la plupart des Français étant convaincus que l’entente une fois faite relativement à l’Alsace-Lorraine, il n’existerait plus de cause de dissentiment entre l’Allemagne et leur pays. Il y a là, comme on va voir, une erreur fondamentale. Tout d’abord, l’idée d’une transaction possible aux dépens de la Cisleithanie repose-t-elle sur des données sérieuses? Les Allemands considèrent-ils la qualité de leurs relations avec la France comme nécessaire au point qu’ils soient disposés à faire des sacrifices réels pour les améliorer? Les lignes suivantes paraissent résumer excellemment l’opinion moyenne des sujets de Guillaume II à l’égard de la France : « Dans les derniers temps, on préconise une alliance entre l’Allemagne et la France. Certes, ¡1 est très satisfaisant qu’en France les sentiments soient devenus plus bienveillants à l’égard de l’Allemagne, dans les dernières années. Tous les Allemands ont le devoir d’entretenir ces sentiments et d’y répondre. Mais cela ne doit pas détourner le politique réfléchi de ce fait : l’Allemagne ne saurait marcher avec la France la main dans la main; l’Allemagne a un avenir et la France n’a qu’un passé. Dans aucune circonstance, le peuple qui regarde l’avenir ne doit lier son sort à celui d’une nation qui meurt lentement mais sûrement (1). » Telle est l’opinion des Allemands sages et modérés. Quant aux chauvins, (1) In den allerneuesten Zeiten tauchen Befürworter eines Bündnisses zwischen Deutschland und Frankreich auf. Es ist gewiss sehr erfreulich, dass in Frankreich die Gefühle gegen Deutschland in den letzten Jahren immer liebenswürdiger geworden sind ; und es ist Pflicht aller Deutschen, diese Gefühle zu pflegen und zu erwiedern. Aber den nüchternen Politiker darf das nicht über die Thatsache hinwegtäuchen, dass Deutschland nicht mit Frankreich Hand in Hand gehen kann, weil Deutschland noch eine Zukunft Frankreich nur eine Vergangenheit hat. Wer seine Ziele in der Zukunft sucht, darf sein Schiksal unter keinen Umstanden mit einer langsam aber sicher absterbenden INation verknüpfen. Die Gegenwart, n° 10, 20 mai 1899,. p. 306-307.