334 L’EUROPE ET LA QUESTION D’AUTRICHE Il y a trente ans, les Allemands n’étaient encore rien à Constantinople; ce laps de temps très court leur a cependant suffi pour se créer en Turquie une situation hors de pair. La première manifestation officielle de l’influence du gouvernement de Berlin auprès du Sultan fut l’envoi, en 1882, d’une mission militaire. En principe, les officiers qui étaient mis ainsi à la disposition du ministre de la guerre turc devaient continuer la tâche de réfection de l’armée ottomane, commencée par la mission française entre la guerre de Crimée et 1870. En fait, la mission militaire allemande, surtout dans ses premières années, a été loin d’avoir l’influence qu’on est tenté de lui attribuer. Elle n’a point eu, comme on l’admet souvent, la haute main sur les troupes du Commandeur des croyants, qui, pour des raisons religieuses inéluctables, ne subissent que dans une très faible mesure l’action d’officiers chrétiens, quels qu’ils soient. D’ailleurs, sur les douze officiers qui composaient la mission allemande, on trouvait onze hommes médiocres, incapables d’exercer une influence sérieuse; le douzième, il est vrai, était de la plus haute valeur. C’est aujourd’hui le général baron Colmar von der Goltz (1). C’est lui qui a vraiment frayé les voies à l’Allemagne en Turquie et qui, en obtenant la réforme des écoles militaires turques et de la Grande Maîtrise de l’artillerie, a fait pénétrer dans l’armée ottomane la dose de principes militaires prussiens qu’elle était susceptible de s’assimiler. Quant aux campagnons de von der Goltz, leur rôle s’est borné à amener la Turquie à acheter exclusivement en Allemagne son matériel de guerre. Ils ont pleinement réussi dans cette entreprise, but véritable de leur mission. Le commerce allemand pour les armes, les munitions, les équipements de toutes sortes, a ainsi trouvé en Turquie un premier et important débouché. Ce premier succès amena les publicistes allemands à (1) Le même dont il a déjà été question p. 219.