AU SEUIL DU XXe SIÈCLE 381 fer de Bagdad qui est bien la plus dangereuse entreprise qui ait été dirigée depuis longtemps contre l’empire des Tsars. On ne s’y trompe pas à Pétersbourg. A peine le firman de concession du Sultan était-il connu que les Novosti écrivaient : « 11 s’agit d’une guerre déjà engagée et constante, d’une conquête pacifique de la Turquie, non pas par la force des armes, mais par la construction de chemins de fer et l’extension de colonies. Si, avec le temps, l’Allemagne atteint son but final et prend possession de Trieste, alors la question d’Orient prendra une direction qui sera toute différente de celle qu’elle a eue jusqu’ici. » Le Novoié Vrémia a montré mieux encore l’étendue du danger : « Notre opinion publique semble tout à fait endormie : c’est notre devoir de la réveiller avant qu’il soit trop tard. Nous voyons qu’on ne se rend pas chez nous suffisamment compte de la portée d’une pareille ligne ferrée entre les mains des Allemands. Essayons donc d’éclairer nos concitoyens. Le chemin de fer de la Mésopotamie, une fois relié aux chemins de fer de l’Anatolie, deviendra un concurrent excessivement dangereux du chemin de fer transsibérien qui, lorsqu’il sera achevé, aura coûté des centaines de millions à la Russie. Certes, le trajet entre l’Europe occidentale et l’Extrême-Orient se fera plus vite par la Sibérie que par l’Asie Mineure et la Mésopotamie, mais il sera de beaucoup plus coûteux puisqu’il s’effectuera exclusivement en wagon, tandis que les marchandises qui seront dirigées vers l’Extrême-Orient par la Mésopotamie pourront être prélevées sur les navires qui passent le canal de Suez ; la nouvelle route pourra même faire concurrence à ce dernier. Mais il y a autre chose à remarquer : la Mésopotamie est un des pays les plus riches du globe ; les richesses naturelles inépuisables de ces vastes contrées n’ont été jusqu’ici que fort peu exploitées, les communications faisant presque complètement défaut. Tout changera comme par un coup de ba-