94 LA QUESTION DD MAROC pulations farouches, dont lesvillages se montrent au loin, tout hérissés de cactus et d’aloès. La mer, souvent furieuse, brise sur les récifs et parfois empêche le bateau de mouiller en face de Melilla ou de Tetuan et de communiquer avec la terre. Mare sævum, lit tus importuosum! C’est le Rif, le seul rivage du monde où une mort certaine attend l’audacieux qui s’y hasarde. Et la côte de l’océan Atlantique, plus exposée encore aux vents du large, n’est guère plus hospitalière ! Et cette terre n’est pas la Papouasie ; elle est à quelques heures d’Oran, à deux jours de Marseille ; on la voit distinctement de Gibraltar et tous les bateaux qui pénètrent dans la Méditerranée en longent les bords : c’est le Maroc ! Aucun des Européens qui se sont enfoncés dans les profondeurs mystérieuses du Maghreb, aucun de ceux qui, moins audacieux ou moins curieux d’inédit, n’ont fait qu’en effleurer les rivages et qu’en visiter les villes ouvertes, n’a échappé à cette sensation, dont Pierre Loti a rendu, avec tant de charme et d’émotion, l’originale saveur, d’une plongée subite en plein moyen âge, d’une magique transposition des temps et des choses, qui ferait revivre l’Espagne des Maures à quelques heures de nos grandes villes modernes. Et telle est l’impression saisissante produite par cette apparition, qu’elle amène sous la plume de tous ceux qui ont vu et décrit le Maroc le mot d’anachronisme. L’empire du chérif prolonge sous nos yeux un passé très lointain. L’histoire, ailleurs, se précipite, emportant les peuples vers des destins nouveaux; ici, l’évolution interne est si lente qu’à