156 LA QUESTION DU MAROC Le bruit se répandait, dans la foule alarmée, que Mouley-abd-el-Aziz préparait des mesures plus pernicieuses encore pour l'intégrité des coutumes marocaines et l’indépendance du pays. On l’accusait d’avoir accordé une concession de chemin de fer aux agents de l’Angleterre, et de vouloir ainsi ruiner le peuple innombrable des muletiers, chameliers ou âniers, au profit de quelques étrangers. Bref, tous ces incidents, toutes ces coïncidences, les rivalités d’influence des grandes puissances, la venue de plus en plus fréquente d’Européens au Maroc, créaient, dans tout le bled-el-maghzen, un état d’inquiétude et de mécontentement qui devait se manifester à la première occasion ; jusque dans les profondeurs du bled-es-siba, sur lesflancslointainsde l’Atlas, les voyageurs e t les pèlerins colportaient la nouvelle des scandales de la cour cliérifienne. Tant que le Maghzen resta à Marrakech, au milieu d’un pays soumis, dans une ville obéissante, les colères ne se propagèrent pas et les murmures restèrent sourds ; mais tout s'aggrava à la fin de 1902, quand le sultan se mit en route, avec sa suite et son armée, et, par Rbât et la côte, se dirigea vers la cité de Mouley-Idris, vers Fez. Un dicton du pays compare le Maghreb à un sablier, dont les deux royaumes de Fez et de Marrakech sont les deux ampoules ; le sable, lorsqu’il est dans l’une, ne saurait rester en même temps dans l’autre ; de même, le sultan séjourne-t-il longtemps à Marrakech, Fez, lacité pharisienne, bigote et frondeuse, s’agite, les provinces du nord se désaffectionnent, les marches berbères s’insur-