} 98 LA QUESTION DU MAROC locaux, ils sont légion : ascètes ou mendiants, fous ou pauvres d'esprit, charlatans ou hallucinés, se partagent la vénération et les aumônes de la multitude : vivants, ils sont respectés, écoutés, nourris; morts, leur tombeau devient un lieu d’asile, leur nom une protection ; mais, en général, la renommée de leurs vertus et l’efficacité de leur intercession ne dépassent pas les limites d’une tribu. Chacune d’elles, comme les cités antiques avaient leur héros, a son marabout, gardien de l’indépendance de la tribu, palladium de son particularisme irréductible. Révélateurs d’une activité religieuse très intense, le pullulement des confréries et la popularité des santons sont aussi l’indice et la conséquence de celte passion pour l’autonomie de leurs tribus, qui semble être le trait caractéristique des populations berbères. C’est leur humeur sauvage, plus encore que l’intolérance de leur foi, qui ferme le Maroc aux étrangers ; souvent ces Berbères sont d’assez mauvais musulmans, qui connaissent à peine le Prophète et se montrent rétifs aux préceptes du Coran ; certaines tribus du Rif ne se font pas faute de boire le vin qu’elles récoltent ; il en est même qui ignorent les prières sacrées, oublient la pratique des ablutions et poussent l’audace jusqu’à tourner en ridicule la liturgie rituelle. Sans cesse occupées de guerre et de pillage, de dévotions superstitieuses et de débauches infâmes, les tribus berbères, surtout celles du Rif et des Djebala, vivent isolées les unes des autres, gouvernées par leurs djemaâ et plus dociles aux conseils des marabouts que soumises à l’autorité du