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   Quotidiennement, ces singuliers «gardiens de l’autorité légale » amenaient à la forteresse des centaines de Turcs et d’Albanais, où les « fortes têtes » — sur simple dénonciation descomitadjis, nouveaux « chevaliers du poignard » — sans preuve, ni enquête, étaient fusillés sans pitié ni vergogne dans la cour de la forteresse.
   Quelques-uns de mes collègues — dont le président de « l’Agence télégraphique de Pétersbourg », M. R-v. et moi, fûmes une dizaine de fois témoins d’actes révoltants commis dans le quartier turc par les comitadjis, et, il faut le dire, plus rarement par les soldats.
   Les autorités militaires supérieures fermaient les yeux devant toutes ces horreurs qui ne pouvaieut guère contribuer au développement de la civilisation chrétienne en pays musulman.
   On dit qu’il n’y a rien de plus dangereux que l’esclave qui brise ses chaînes et qui peut donner cours rageux à sa haine séculaire. Or, les chaînes des Serbes furent lourdes et ils les portèrent longtemps, il n’y a que cela qui puisse excuser leur férocité.
   L’armée du prince héritier Alexandre entra à Uskub abondamment pourvue de cartouches, de munitions et d’enthousiasme ; il ne lui manquait qu'un peu de civilisation chrétienne et d’amour du prochain.
   Cartouches et enthousiasme n’avaient que faire à Uskub, et on n’eut pas à s’en servir. La civilisation chrétienne ou, plus simplement, un peu d’humanité moyenne y était par contre autrement nécessaire et eût permis aux Serbes de s’acquérir l’estime de l’Europe. Les Serbes étaient bien imprudents de croire que des faits, dont le récit était arrêté par la censure militaire, resteraient ignorés de l’opinion publique de l’Europe.
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   L’un après l’autre, les correspondants militaires partirent. Des correspondants russes seuls, V. V. Zavatski-Derental (Rousskia Vedomosti) et moi restâmes ; néanmoins dans la majorité des journaux russes, paraissaient des nouvelles d’Uskub et de la Macédoine du Nord, dépeignant sous des