— 75 — Mais quel but raisonnable pouvait bien poursuivre les Serbes en inventant journellement des bulletins vantant la docilité et le dévouement des Albanais dans le sandjak d’Uskub et la solidité de l’occupation serbe, quand chacun de ceux auxquels ces mensonges étaient destinés voyait précisément tout le contraire sous ses yeux, et que, en admettant qu’on nous empêchât de dire la vérité, il n’y avait cependant pas d’autorité qui fût de taille à nous contraindre à la « farder » ! Quoique les dépêches des correspondants émanassent officiellement du « commandement suprême », elles étaient en réalité l’œuvre d’un groupe de jeunes gens inconsidérément placés à une censure pour laquelle rien, ni la compétence particulière, ni la qualification morale — comme on put le constater plus tard — ne les désignait. De sorte que beaucoup de correspondants quittèrent l’armée, ayant reconnu l’inutilité de leur présence. Ceux qui restèrent devinrent témoins des événements qui se déroulèrent à Uskub et aux environs et ils ne les cachèrent pas dès qu’ils purent parler. Les eaux du Vardar, déjà témoins de tant d’horreurs, pourraient en dire long sur les « atrocités turques» exécutées par les Serbes lors de l’occupation d’une ville dont ils s’étaient cependant emparés sans coup férir. La population musulmane du sandjak d’Uskub fut prise de panique dès l’arrivée des premiers détachements de l’armée serbe, et cette panique s’accrut proportionnellement, si l’on peut dire, à la « consolidation » de l’autorité serbe dans la région. Pillages, incendies et exécutions sommaires en masse, le tout au milieu d’une fusillade ininterrompue et affolante, annoncèrent l’occupation solennelle des abords de la ville par l’armée du prince héritier. Sous prétexte de rechercher les armes, les comitadjis et les soldats entraient de nuit dans les maisons des Musulmans, où ils s’abandonnaient à leurs instincts d’avidité et de sadisme, ouvrant une fusillade en règle à la moindre résistance de ces gens désarmés.