— 140 — M. Reiss, mieux que quiconque, devrait savoir que les témoignages des soi-disant témoins oculaires, qui n’ont pas à redouter les sévérités du Gode pénal pour taux témoignage, comme c’est ici précisément le cas, sont presque tous sujets à caution. Et même nous avons en l’affaire un motif de plus qu’il en soit ainsi ; il s’agit en effet de témoins serbes faussant volontiers la vérité à rencontre du vieux grognard de la pièce classique et de prisonniers bulgares qui, terrifiés, répétaient tout ce qu’on leur soufflait ou suggérait. Quoi qu’il en soit, l'énormité incohérente lancée par M.' Reiss a fait le tour de la presse intéressée et a servi en quelque sorte de point d’appui, peut-être même de point de départ, à la légende encore plus déraisonnablement monstrueuse de huit mille jeunes filles serbes garnitures de harems turcsl. 1 « Comment naissent les légendes. » - La gazette de Lausanne du 6 juin 1918 (n° 133) reproduit une dépêche de Corfou aux termes de laquelle le commandement suprême bulgare aurait livré 8000 jeunes femmes à la Turquie. Il s’agit là d’une pure calomnie, mais qui montre bien les incroyables moyens dont se sert le gouvernement serbe pour tromper les neutres. On pouvait en effet lire dans le N* 33 de La Serbie du 2 septembre dernier : « Le Temps du 8 août publie la lettre d’un Serbe, que nous reproduisons ici. Cette lettre, il l’a écrite dans les montagnes avec le sang de ses veines ouvertes et il y annonce que 6000 enfants et jeunes filles ont été traînés en Turquie par les Bulgares ». A la science de se prononcer tout d’abord sur la possibilité pour un homme, qui se vide ainsi, de faire de la littérature et d’avoir encore assez de sang-froid — à défaut du sang chaud qui a coulé — pour faire parvenir sa prose à destination. Mais ce n’est pas là que nous voulons en venir. Il y a mieux encore. La Serbie a depuis resservi sa première histoire sous forme de reproduction d’un entretien avec Pasitch à Londres et naturellement en réitérant son profond dégoût de pareils procédés. L’histoire reparaît maintenant en troisième édition, avec une nouvelle variante sur la fois précédente, qui n’en augmente pas la vraisemblance pour tout esprit non prévenu. On voit le truc : répéter à différentes reprises dans l’espoir que la répétition finira par conférer l’authenticité aux faits qu’elle colporte. On ne saurait que plaindre ceux qui sont forcés de recourir à de pareilles manœuvres et déplorer, presque encore plus, qu’il .se trouve des grands journaux, qui veulent être informés, pour leur accorder aussitôt — sans critique aucune — l’hospitalité de leurs colonnes. Surtout par ces temps de papier si cher et de surabondance de nouvelles vraies !