i8a LA RÉVOLUTION ET LA RÉACTION Les années suivantes se passèrent dans le silence. On voyait se développer et s’étaler le système de Bach, et on voyait en même temps apparaître les signes qui prouvaient que son empire ne serait pas de longue durée. Son instabilité même, attestée par ses perpétuels changements d’organisation, décelait en lui un vice interne. La guerre de Crimée excita les espoirs de ses adversaires. Avec elle se produisait la crise extérieure dont Somssich, comme tant d’autres, attendait la démonstration de l’impossibilité du système : pour élever une génération d’Autrichiens selon la nouvelle formule, il faudrait vingt-cinq ans de paix en Europe ; et, si la paix ne dure pas ces vingt-cinq ans, comment la monarchie jouera-t-elle son rôle dans une guerre européenne, quand la plus grande partie de ses forces est employée à maintenir à l’intérieur un régime détesté 1 ? De fait la crainte de difficultés intérieures, surtout en Hongrie, contribua en partie à paralyser l’action extérieure de l’Autriche, et à lui imposer cette politique d’indécision et de duplicité dont elle recueillit quelques années plus tard les fruits amers. Palmerston, qui désirait son concours entier et sans arrière-pensée, jugeait indispensable de lui assurer la sécurité vis-à-vis de la Hongrie; il fit sonder les chefs des libéraux hongrois en vue d’une entente avec Vienne ; mais ils répondirent que l’Autriche ne voudrait pas renoncer à ses rêves unitaires, et préférerait ainsi ne pas se mêler à la guerre 2. En effet, le système l’emporta ; l’Autriche joua dans la crise européenne un rôle humilié, mais elle ne toucha pas à son régime intérieur, et la question hongroise sommeilla de nouveau jusqu’au voyage de l’empereur en Hongrie. Les conservateurs, après l’échec de leur première attaque, n’étaient pas restés inactifs. Ils avaient entrepris une action personnelle, plus cachée, mais continue. Leurs efforts trouvaient une aide puissante chez l’impératrice. Cette princesse bavaroise, d’esprit vif, curieux, impatient, s’était prise d’affection pour la chevaleresque nation hongroise ; elle avait appris sa langue, et embrassait sa cause avec la passion qu’elle apportait à tout ce qu’elle aimait. Bach, naturellement informé des dangers qui le menaçaient et de la puissance des alliés de ses ennemis, jugea ne pouvoir mieux se défendre qu’en mettant sous les yeux du souverain les résultats qu’il avait obtenus. De là, le second voyage de l’empereur en Hongrie, du mois de mai au mois de septembre 1. Somssich, Das legit. Recht, 61-2. 2. Beksics, Kemény Zs., 169.