LA RÉACTION (1849-1859) 153 nécessité de la nature, comme celle qui fait que les Français et les Anglais se sentent directement, sans intermédiaire, Français et Anglais, mais par un intérêt politique calculé, et seulement dans la mesure de cet intérêt. C’est à notre province natale que nous sommes attachés avant tout et sans intermédiaire, c’est par elle seulement que nous entrons en rapport avec la monarchie... Exiger des Italiens, des Slaves, des Allemands qu’ils se sentent exclusivement Autrichiens, c’est vouloir les condamner à une sorte de célibat — et d’autant plus violemment les exciter au péché *. » Une fédération des provinces, qui sauvegardera l’unité de la monarchie en assurant les libertés nécessaires, voilà la solution. Mais que le ministère se hâte « avant que la durée de l’état de siège n’ait aboli le sentiment de solidarité des citoyens et détruit toute confiance » Même un partisan aussi inébranlable de la stricte légalité que le baron Sigismond Kemény, un des chefs du parti pacifique au Parlement de Debreczen, ne peut pas se soustraire à l'influence des leçons de la Révolution. Le dualisme nouveau, fondé sur les lois de 1848, est pour lui intangible, car ces lois sont aussi valables, la sanction en a été aussi régulière, que celle de toutes les autres antérieures : y laisser toucher, c'est mettre en question tout le Corpus Juris de la nation. Mais elles peuvent être révisées dans la forme légale, et elles doivent l’être, pour en corriger le défaut capital, leur lacune au sujet des affaires communes. Elles ont négligé de tenir compte des intérêts de la monarchie : par là, elles ont engagé la Hongrie dans un conflit avec la monarchie, où elle ne pouvait être que vaincue. Ni la Hongrie ne peut se passer de l’Autriche, ni l’Autriche de la Hongrie ; la solution est donc évidente : un compromis. Il faut — c’est une exigence de la situation européenne — que la monarchie soit une grande puissance, et il faut que la Hongrie, dans sa Constitution, tienne compte de cette nécessité, il faut qu’elle y fasse les sacrifices indispensables ; mais il faut aussi que l’Autriche ne demande que les sacrifices indispensables, reconnaisse loyalement que la Hongrie est un État, et non point une province. C’est tout le problème du Compromis, du dualisme, posé pour la première fois dans ses termes précis, avec l’indication de ses données essentielles, tandis que Kossuth, en mars 1848, n’avait fait que l’effleurer. Plus peut-être qu’aucun autre, le livre de Kemény 3 prouve combien l’effet pro- 1. Oestreich nach der Révolution, 47. 2. /&., t02. 3. A [orradalom utdn (Après la Révolution), 1850. D’aprcs l’analyse de Beksics, Kemény Zs., 157-60.