IO l’ancien régime de ce jour. Des causes multiples de sa chute, la principale est la fatigue profonde d’un pays écrasé par le rôle, trop lourd pour lui, qu'il avait joue pendant deux siècles. Depuis les guerres liussites, la Bohême avait défendu, contre des forces supérieures, la liberté intellectuelle et religieuse de l’Europe. Elle tomba au début de la grande lutte qui en consacra le triomphe. La catastrophe ne fit qu’achever sa décadence déjà complète. Une aristocratie égoïste et oppressive avait, à la faveur des troubles civils, monopolisé à son profit toute la vie publique du pays : pour défendre ses intérêts de caste, elle jeta la nation dans le conflit où elle succomba. Sans doute, ce conflit était inévitable ; sans doute, la lutte entre la nationalité bohème et le despotisme habsbourgeois devait nécessairement, un jour ou l’autre, se terminer par l’appel aux armes; mais cette aristocratie, avide et tumultueuse, engagea le combat décisif au moment le plus inopportun; elle y amena la Bohême épuisée, désorganisée, troublée et divisée, yictime sacrifiée d’avance plutôt que combattant redoutable. Une seule bataille, qui coûta aux vainqueurs deux cent cinquante hommes *, décida du sort du royaume. Punir une révolte impie contre l’autorité royale, surtout exterminer l'hérésie et assurer en Bohême la domination de la vraie foi, telle fut la pensée de Ferdinand II après son triomphe. — De 1620 à 1627, la Bohême fut soumise à un bouleversement systématique. Toute sa structure sociale et nationale se modifia ; l’élément tchèque, soutien de la révolte et de l’hérésie, fut entièrement éliminé des classes supérieures ou moyennes de la nation. L'aristocratie tchèque fut fauchée par les exécutions, ruinée par les confiscations. Les chevaliers, c’est-à-dire la petite noblesse, noyau de la nationalité tchèque, préférèrent l’exil volontaire à la conversion forcée. Comme eux, la bourgeoisie tchèque quitta le pays pour conserver sa foi. De 1620 à i63o, l’émigration emporta cent mille personnes, les confiscations montèrent à plus d'un milliard de notre monnaie, deux tiers des terres changèrent de maître % et ces chiffres sont plutôt au dessous de la vérité. La nation tchèque fut décimée ; surtout, elle fut décapitée, elle perdit son élite, les hommes de tête et les hommes de cœur, ses « entraîneurs » 3 ; elle se réduisit à une classe de paysans. Il lui fallut deux siècles pour réparer les pertes de cette terrible saignée. 1. Denis, Fin de l’indévendance Bohême, If. 555. 2 Denis, Lu Bohême, I, 59, 86. 3. Denis, o, c., I. 87.