148 LA RÉVOLUTION ET LA REACTION pouvait même pas songer. Mais ni l’un ni l’autre n’y pensait. L’ancien régime, pour eux, était condamné par la promptitude même de sa chute, et par le souvenir des périls qui, pendant quelques mois, avaient semblé menacer jusqu’à l’existence même de la monarchie. L’histoire de la Révolution leur démontrait clairement que le système « provincial », l’ancien système qui consistait à respecter les particularités des divers pays de la monarchie, à laisser à chacun ses formes d’administration, ses habitudes, ses traditions, et à les maintenir tous réunis par le seul lien dynastique. par le pouvoir d’un souverain partout le même, et absolu dans toutes les grandes questions de la politique — que ce système ne suffisait plus à assurer la durée et la puissance de la monarchie. 11 fallait désormais que l’Etat prît aux yeux des sujets forme et corps, qu’il ne les laissât plus uniquement soumis aux influences provinciales et nationales, mais qu’il s’assurât sur eux un empire direct et immédiat. Et par là encore, la grande œuvre de la Révolution, la transformation sociale, portait ses fruits : il fallait que l’État se rapprochât désormais des sujets, non pas seulement pour leur assurer les services que jusque-là ils recevaient de leurs seigneurs, mais aussi pour s’assurer d’eux l’attachement, le respect et l'obéissance que, tant qu’avait duré le servage, il lui avait sufli d’obtenir des seigneurs ; il fallait que l’Etat autrichien se mit en contact direct avec ce produit de la Révolution : le peuple autrichien. L’ancienne Autriche avait péri tout entière dans les journées de mars. Aussi bien pour la dynastie que pour les peuples qu’elle gouvernait, la Révolution marquait la fin d’une époque et le début d’une ère nouvelle. Ses leçons avaient modifié les idées de l’une comme les sentiments des autres. A la dynastie, elle avait fait apparaître la nécessité d’une politique différente de sa politique traditionnelle, et capable de réaliser enfin cet État autrichien, objet vainement poursuivi de ses efforts depuis plus de trois siècles. Aux peuples, elle avait montré que leur union dans la monarchie avait ses causes profondes, quelle était de leur intérêt à tous, qu’elle méritait de leur part des concessions et des sacrifices. Le problème de l’Etat moderne se posait ainsi dans les conditions les plus favorables ; jamais peut-être ces deux forces antagonistes de l’histoire d’Autriche, la dynastique et la nationale, ne furent si près de se confondre. Le lendemain de la Révolution était l’heure critique dans l’existence de la monarchie des Habsbourg. — Le coup de barre fut donné du mauvais côté, et l’Autriche moderne s’abîma sur les récifs.