ioo LA RÉVOLUTION ET LA RÉACTION Jelaéic représente au plus haut degré le type, si curieux, des officiers des Confins. Nés au service, fils de soldats ou d’officiers, élevés au régiment, puis formés à leur carrière dans les écoles de l’Autriclie, sans fortune presque tous, et devant tout aux bienfaits du souverain, ils restaient des patriotes croates, mais avant tout des patriotes autrichiens entièrement dévoués aux Habsbourg : ils ne séparaient pas l’intérêt de leur nation de l’intérêt de l’empereur. Jelaéic a été entraîné par le mouvement national croate ; il y a participé par des œuvres poétiques ; mais, dans toutes les occasions décisives, le sentiment autrichien dynastique l’emportera en lui, sans sacrifice raisonné, par instinct. Il incarne deux idées dont l’alliance va sauver la vieille Autriche : l’idée dynastique et l’idée nationale : mais la première domine et dirige la seconde. Fort de la confiance qu'il inspire à son peuple, il va se faire l'instrument de la cour; en paraissant le suivre, il le dompte et le domestique. Il va transformer la Croatie, comme le veut la cour, en « une V endée antimagyare et antirévolutionnaire » 1. Elle n’est même pas toute cette Vendée. Il y a sur le sol hongrois d’autres peuples encore, qui ne voient dans le Habsbourg que l’empereur, indifférents ou hostiles à l’État hongrois, mais dévoués à la monarchie autrichienne, animés contre les Magyars d’une haine non seulement nationale, mais aussi sociale, de la haine du serf contre le seigneur : les Slovaques de la Haute-Hongrie, les Roumains de Transylvanie, les Serbes du Banat. La nationalité, la religion, la différence des conditions sociales, l’histoire séparent également les Magyars catholiques ou calvinistes, les Slovaques luthériens, les Serbes et les Roumains orthodoxes. La Hongrie magyare est ainsi entourée presque de tous les côtés d’ennemis menaçants. Sur toute sa frontière méridionale s’étend l’organisation militaire des Confins, depuis l’Adriatique, le long de la Save et du Danube, jusqu’à la boucle oi'ientale des Carpa-thes, près des sources de l’Aluta. Elle est ainsi prise à revers par des troupes impériales, toutes prêtes à l’action, qui encadreront les masses populaires et leur fourniront des chefs. Agram est le centre naturel de la résistance. D’Agram était parti le mouvement illyrien, et à Agram siégeait la seule autorité à la fois nationale et légale, le ban. Jelaéic avait trouvé la Croatie dans une anarchie complète. Les anciennes autorités, d’esprit hongrois, étaient ’violemment attaquées par les comités révolutionnaires, émanés du parti illyrien. Le ban prit parti pour les I. Marczali, A legûj. kor tort., 627.