LE DIPLÔME D’OCTOBRE 247 derrière eux, les ultras les poussaient : convaincus de la nécessité d’une rupture et d’une révolution, persuadés que l'Autriche était sans force pour défendre son existence, ils voulaient faire des comitats le centre de manifestations extrêmes, radicales, mettre leur pouvoir constitutionnel au service des idées de Kossuth. Deâk, qui comptait avec la réalité, sentait la nécessité d’une transition : en dix ans, les lois autrichiennes s’étaient acclimatées en Hongrie ; à vouloir les supprimer brusquement, on bouleverserait toute la vie du pays. Mais cet argument touchaitpeu les champions exaspérés du droit et de l’honneur national, et la rancune des souffrances endurées sous Bach poussait dans leur camp une partie des modérés. Les lois de 1848 fournissaient un mot d’ordre commode à cette opposition composite: les légalistes l’entendaient des lois d’avril, les kossuthistes y comprenaient aussi 1849. Ainsi se propagea un véritable mouvement révolutionnaire, auquel la restauration des comitats donnait des centres et une organisation. Les hommes du gouvernement s’étaient sans doute fait illusion sur le succès de cette mesure. Ils ne s’attendaient pas à ce qu’elle désarmât d’un coup l’opposition, mais pas non plus à ce qu’elle n’eût d’autre effet que de l’exciter. Vay s’efforçait, dans les comitats, de Réunir, de rallier la nation, de façon à la faire apparaître une dans l’action comme elle l’avait été dans l’opposition : seul moyen, lui semblait-il, de renforcer la position de la Hongrie en face de la couronne. Ses choix pour les postes de comtes suprêmes ne s’inspiraient nullement d’un étroit esprit de parti : peu lui importait que ses élus fussent conservateurs ou libéraux, dès qu’il étaient patriotes; volontiers il rendait ces fonctions aux titulaires de 1848, pourvu qu’ils fussent possibles. Mais tous ne partageaient pas ses illusions généreuses. Il essuya des refus blessants : Tisza qui commençait alors sa brillante carrière, lui notifia le sien par la voie des journaux. Les vrais deâkistes, plus réfléchis et plus politiques, s’ils ne voulaient pas se compromettre avec les conservateurs, ne voulaient pas davantage, par d’inopportunes manifestations, arrêter trop tôt leur tentative si utile à la nation. Andréssy et Lônyay, au lieu de refuser avec une volontaire brusquerie, s’excusèrent devant le public sur ce qu’ils pourraient être plus utiles comme députés, laissant entendre clairement qu’ils ne désiraient pas, pour le bien même de la nation, avoir trop d’imitateurs2. Ils expliquèrent amica- 1. Koloman Tisza, premier ministre de 1873 à 1890, père du premier ministre actuel, le comte Étienne Tisza. 2. Lederer, Andràssy,l, 112. \