192 LA RÉVOLUTION ET LA RÉACTION naires : ceux-ci n’étaient guère tentés de consacrer toutes leurs forces à une idée qui, au bout de peu de mois, pouvait être condamnée Ce sentiment d’insécurité, d’instabdité, contribuait encore à augmenter le défaut naturel du système, à le rendre purement mécanique, en étouffant chez ses agents toute initiative, en leur inspirant à tous la peur des responsabilités. L’organisation elle-même , avec sa pyramide d’instances superposées, toutes réduites au rôle d’exécutrices de la seule volonté ministérielle, avec sa série de consultations et de rapports, qui aboutissaient nécessairement à une effroyable paperasserie, ne poussait guère les fonctionnaires à l’action. Ce fut bien pis encore lorsque, vers i855 et i856, il devint visible pour tous, fonctionnaires et administrés, qu’il n’y avait pas d’unité dans la direction, qu’en haut des influences opposées se contrecarraient et que la lutte entre elles restait indécise. Jusqu’alors on avait traîné les affaires en longueur par paresse ; on le fit désormais par système. D’ailleurs, dans le fouillis des règlements aussi minutieux que contradictoires qui s’étaient accumulés en quelques années, c’était souvent le seul moyen pour les fonctionnaires d’éviter des difficultés dont ils auraient été tenus pour responsables. Ainsi toute cette organisation administrative, exacte et coûteuse, finit par n’exister plus que sur le papier. « Les ministres... vivaient au jour le jour, sans risquer un mouvement, dans la crainte perpétuelle que la plus légère commotion n’amenât une catastrophe. Ils n’osaient même pas toujours tenir la main à l’exécution des règlements qu’ils lançaient à grands coups de fanfares.... Us vivaient ainsi dans un perpétuel mensonge ; ils avaient combiné un système administratif ingénieux et bien agencé ; seulement, il ne mordait pas sur le pays. Ils avaient résolu le difficile problème d’opprimer sans gouverner *. Pour faire marcher une machine si lourde et si compliquée, il aurait fallu un homme de tout premier ordre et un homme tout puissant. Pas plus que Bach n’était le premier, il n’était le second. Il avait des adversaires influents et plus près que lui de l’oreille de l’empereur. Il semble — car les renseignements précis et sûrs sont rares — que l’empereur n’ait jamais éprouvé beaucoup de sympathie pour lui. Le ministre roturier, parvenu, ancien révolutionnaire, était un instrument utile, mais rien de plus. Dans les premières années, le souvenir encore vivant de la Révolution, qui avait laissé au souverain « une impression de 1. Denis, o. c.. II. 388-9.