LA RÉACTION (1849-1859) François, Ferdinand et Kossuth ; un cocher, appelé à conduire l’empereur dans son premier voyage en Hongrie, répond aux courtisans qui le croient ébloui de cet honneur : « Oh! j’ai déjà conduit un bien plus grand personnage. — Qui donc ? — Sa Majesté Louis Kossuth 1 ». La Révolution est restée populaire, et la tyrannie autrichienne exaspère la nation. Cependant le parti extrême demeure faible et, pratiquement, compte peu dans la vie politique de la Hongrie. Il n'a à lui offrir que des promesses, des espoirs lointains ; il n’attend le succès de ses plans que d’un bouleversement complet de l’Europe. D'ailleurs, toutes ses têtes sont hors du pays ; sur la terre natale, il n’est représenté que par des comparses. Le gros de la nation est pacifique. Il suit les hommes qui, dans le ministère Batthyàny, représentaient avec le président du conseil — mort victime d’une vengeance de cour — l’élément modéré et conciliant : ce sont les amis de Deàk, et ils se groupent autour de lui comme de leur chef. Son autorité morale a encore grandi dans cette crise ; plus que jamais, il est devenu le sage et le guide de la nation. Si ardent patriote qu’il soit, il n’a pas cédé à l’entrainement révolutionnaire : après que Windischgratz a repoussé la députation dont il faisait partie, il s'est retiré dans son modeste domaine ; on ne l’a pas vu à Debreczen. Esprit avant tout sincère et loyal, juriste convaincu, patriote aussi hardi dans la défense du droit légal de la nation que scrupuleux, timide, hésitant lorsqu’il s’agit d’engager une action politique grosse de conséquences pour l’avenir du pays, Deàk, en face de l’attitude illégale, violente, révolutionnaire, du gouvernement, a trouvé du premier coup le principe qui réglera sa conduite jusqu’en 1860 : la passivité. Aux brutalités comme aux avances du pouvoir, la Hongrie doit opposer un imperturbable silence ; elle doit paraître ignorer même les crimes qui se commettent contre elle : ni par un mot, ni par un acte, même de protestation, elle ne peut reconnaître le régime de l’arbitraire. S’il est permis d’employer cette expression brutale et vulgaire, qui est ici l’expression propre, la Hongrie fait la morte. C’est l’appel à la force d’inertie, comme autrefois contre les abus de pouvoir du roi ; c’est, reprise par la nation presque entière, la conduite des eomitats refusant leur concours à l’exécution d’ordres illégaux et suspendant le cours de l’administration, comme les Parlements français celui de la justice. Cette passivité est l’arme la plus efficace contre le gouverne- 1. Zeil, XXXII, 18*2. E. — 12.