LA RÉACTION (1849-1859) 189 lieu du sentiment national ; elle est avant tout féodale et catholique. La Révolution l’avait écartée des Tchèques : sa fronde ayant échoué par sa propre faiblesse, elle en accusait leur trahison ; certaines manifestations, démocratiques l’avaient blessée, l'insurrection de juin l’avait terrifiée, l’esprit hussite qu’elle découvrait partout lui faisait horreur. Palackÿ, qui a abandonné le programme de 1847, l’idée de restaurer l'ancien pouvoir de la Diète féodale, est un révolutionnaire ; et Rieger, qui a proposé à Kremsier la suppression de la noblesse, une sorte d'anarchiste 1 ; Thun, avant la Révolution ami des Tchèques, traite désormais Palackÿ en ennemi. Aussi longtemps que se maintint le système, les Tchèques furent persécutés, leurs chefs espionnés et tracassés, leur langue dédaignée et traquée, leur influence légitime dans leur pays confisquée. Par de savantes combinaisons électorales, les Allemands eurent, pendant ces dix ans, la majorité dans le conseil municipal de Prague, bien qu’ils n’eussent obtenu que 8.000 voix contre 21.000 aux Tchèques ’. Ceux-ci s’exaspérèrent de cette persécution, et leur exaspération se tourna contre le gouvernement; mais aussi et surtout contre les Allemands, qui, en apparence au moins, bénéficiaient de sa faveur et s’enrichissaient de leurs dépouilles. Leur haine nationale s’excita, et leur sentiment autrichien, si fort encore pendant la Révolution, s'affaiblit. Sans les dix années de Bach, la question bohème ne serait pas aujourd’hui si compliquée et, par moments, si menaçante pour l’avenir de l’Autriche. Mais les 'Allemands eux-mêmes, la nationalité privilégiée, étaient rebutés par le système. La centralisation ni la germanisation ne leur déplaisait, mais la politique absolutiste et le Concordat leur répugnaient d’autant plus. Ils sentaient l’oppression bureaucratique aussi lourdement que les autres nationalités, plus lourdement même peut-être, parce que chez eux la bourgeoisie industrielle et cultivée, imbue d’idées libérales, était la plus nombreuse. Sans doute, leur langue était devenue langue d’État, mais un grand nombre de fonctionnaires étaient des Tchèques, et l’allemand officiel des « hussards de Bach » est souvent terriblement barbare. « Il n’y avait pas de spectacle plus blessant dour la dignité des Allemands que de voir Bach.... faire servir au peuple, sur le plateau de l’état de siège, la civilisation allemande par des fonctionnaires tchèques J ». Si les Allemands ainsi ne retiraient 1. Tomek, dans Pamatnik Palackélio, 84, 89. 2. Denis, o. c., Il, 37b. Les détails de la persécution, ib., II. 1. 11, ch. 111. 3. Fischhol, Ein Blick auf Oesterreichs Lage, 21.