BYZANCE A L’ÉPOQUE DES CROISADES 5 Deux anecdotes caractéristiques, que raconte Anne Comnène, illustrent assez curieusement l’état d’âme des deux partis. Lorsque Bohémond de Tárente arriva à Gonslan-tinople, il trouva, dans le palais où l’empereur avait l'ait préparer ses quartiers, la table mise et somptueusement servie. Mais le prudent Normand se souvenait trop qu’il avait été jadis l’ennemi du basileus, pour ne point garder quelque défiance au fond de l’âme. Aussi ne voulut-il ni goûter, ni môme toucher les mets qu’on avait dressés, mais il fit préparer son dîner à la mode de son pays par ses propres cuisiniers. Seulement, comme, tout en se défiant pour lui-même, il n’était pas fâché de s’éclairer sur les véritables intentions de l’empereur, il s’avisa d’une expérience ingénieuse. Très libéralement, il distribua à ses compagnons les pièces de viande que lui avait envoyées Alexis, et, le lendemain, avec beaucoup de sollicitude, il demanda à ses amis des nouvelles de leur santé. Ils lui répondirent qu’ils allaient fort bien, et n’avaient éprouvé nulle incommodité. Alors Bohémond, candide : « Et bien, tant mieux! mais moi, comme je me souvenais de nos difficultés d’autrefois, j’avais un peu peur que, pour me faire mourir, il n’eût mêlé quelque poison à ces aliments ». On voit que l’hospitalité grecque n’inspirait pas aux croisés une confiance sans bornes. Il faut avouer par ailleurs que les Latins étaient des hôtes étrangement incommodes. 11 faut voir de quel ton les chroniqueurs byzantins parlent de « ces barons français naturellement effrontés et insolents, naturellement avides d’argent et incapables de résister à aucune de