LES AVENTURES D’ANDRONIC COMNÈNE 87 monastère, eût été, si elle avait pu en voir les changements, profondément scandalisée. Comme leur parente Anne Comnène, Manuel et les princes de sa maison avaient le goût des lettres et se piquaient de protéger les écrivains. Mais leur esprit s’était affranchi des idées pieuses qui animaient leurs pères et qui inspiraient jadis les résolutions d’une Irène Doukas. Sous le respect soigneusement entretenu des formes extérieures, une indifférence réelle se cachait. Par tradition, l’empereur se posait toujours en défenseur zélé de l’orthodoxie; en fait, il n’éprouvait nul scrupule à entretenir avec les infidèles les relations les plus cordiales; et la raison d’État, plus forte que le respect de l’Église, rendait suspects à ses yeux ces moines trop puissants et trop riches que sa grand’mère avait tant aimés. Plus on se montrait indifférent ou sceptique sur les choses de la foi, plus on était crédule à toutes les superstitions. L’astrologie, les pratiques de la magie trouvaient une créance universelle; l’envoûtement, les philtres d’amour étaient employés par une foule de gens. Beaucoup de personnes, dans les plus hautes classes même, se persuadaient qu’en interrogeant « le livre de Salomon », elles pourraient à leur gré évoquer les démons et les soumettre à leurs ordres. Et si quelques bons esprits gardaient des doutes sur l’efficacité de toute cette sorcellerie, la masse croyait profondément au merveilleux. Dans cette société sans direction morale, l’intrigue et l’amour tenaient une place essentielle. Peu de familles ont été, plus que celle des Coinnènes, déchirées par d’ambitieuses rivalités. Manuel a passé sa vie à se défier de ses cousins et de ses neveux, et son