ANNE COMNÈNE 4* son mari en des propos de corps de garde. Maudissant la lâcheté du César, elle déclarait que la nature avait bien mal fait les choses, en mettant dans un corps de femme l’âme virile qu’elle sentait en elle, et en plaçant dans un corps d’homme l’esprit timide et indécis de Bryenne. Il me faut, par décence, paraphraser les mots qu’elle employait, et qui sont, dans leur teneur originale, d’une bien autre et plus brutale énergie. Mais à coup sûr il fallait qu’Anne Comnène se sentît bien cruellement frappée, pour qu’elle, si bien élevée, si littéraire, s’abaissât à des propos d’une telle'crudité. III Anne Comnène avait trente-six ans à peine, mais sa vie était finie. Elle survécut vingt-neuf ans à l’effondrement de ses grandes ambitions, se consacrant tout entière, comme elle le dit quelque part, « aux livres et à Dieu ». Et cette longue fin d’existence fut pour elle mortellement triste. Successivement deuils sur deuils l’accablèrent. Après Alexis son père, dont la mort, elle le comprenait bien, avait été pour elle la fin de tout, elle vit mourir l’un après l’autre sa mère Irène, « la gloire del’Orient eide l’Occident »,son frère préféré Andronic, et, en 1136, enfin son mari Nicé-phore Bryenne ; et à chacun de ces deuils correspondit pour elle un degré de plus dans la déchéance. Depuis l’échec de sa dernière conspiration, elle vivait à l’écart, loin de la cour, dans une demi-disgrâce, souvent retirée dans le cloître que sa mère Irène avait fondé en l’honneur de Notre-Dame-des-Grâces. Les anciens familiers de son père, les courti-