L’iMPÉRATlUCE IRÈNE DOUKAS 59 misérables qu’elle rencontrait sur sa route. Et alors, pour ces humbles, cette femme d’ordinaire réservée un peu distante, se faisait aisément accessible; avec eux sa gêne disparaissait, sa langue se déliait; elle devenait même, en ces occasions, un peu prêcheuse parfois et moralisante. Elle parlait volontiers du relèvement par le travail, elle conseillait à ses protégés de ne point se laisser aller à la paresse, « de ne point traîner de porte en porte en demandant l’aumône »; très bonne, elle ajoutait ainsi du prix à ses largesses par la façon qu’elle avait de les distribuer. Dans cette retraite demi-volontaire où elle se confina, Irène Doukas passa vingt années de sa vie, et on peut croire qu’elle souffrit parfois de la situation un peu effacée qui lui était faite : car elle aimait ce mari qui la négligeait, et elle sentait en elle d’autre part des qualités assez hautes pour lui mériter un rôle plus considérable. Sa fille a dit d’elle qu’elle avait une âme virile, du courage, de l’intelligenee, du sang-froid, l’esprit des affaires. Un autre contemporain vante sa capacité de réflexion, le sentiment qu’elle avait de la justice, les bons conseils qu’on trouvait auprès d’elle, la souple habileté de son génie, et surtout son courage, « par lequel elle surpassait toutes les âmes d’hommes, et qui était le seul point par où elle abdiquât son sexe, pour incliner à de plus mâles vertus ». Il faut dire enfin qu’elle était très fière de sa naissance, de l’illustration de sa famille, des droits qui lui appartenaient : on comprendra sans peine qu’étant telle, Irène, lorsque l’occasion se rencontra, se révéla brusquement femme politique et grande ambitieuse.