PRINCESSES LATINES A LA COUR DËS PALÉOLOGUES 231 rudement, un jour qu'il le trouvait à dîner, que tu eusses à préparer la guerre autant d’entrain qu’à te mettre à table, à déguster les plats qu’on te sert et à t’absorber devant les coupes vides. » Lui-même, en attendant, ne perdait pas le temps : il rassemblait deux cent cinquante chevaliers latins, enrôlait quelque infanterie, et en face de l’inerte Isaac il apparaissait à tous « comme un vrai envoyé de Dieu ». C’est lui qui, par sa brillante valeur, gagna la bataille décisive; à la tête de ses Latins, il chargea comme un simple soldat, sans casque et sans bouclier; et c’est lui qui, dans la rencontre, jeta bas l'usurpateur d’un coup de sa lance. Il apportait dans le combat, avec un courage éclatant, une joviale gaîté, une grosse ironie de soudard robuste. Comme Branas renversé et blessé suppliait qu’on l’épargnât : « Allons, lui répondit Conrad, ne craignez rien. Vous n’avez qu’une chose à redouter, c’est qu’on vous coupe la tête », et il le laissa achever. Avec d’atroces raffinements de cruauté, on promena par les rues et jusqu’à la table du basileus cette tête coupée, aux yeux clos, à la bouche encore ouverte, et les courtisans se la renvoyèrent du pied, comme une balle, avant qu’on l’allât présenter toute sanglante à la veuve du vaincu. Après quoi, les Latins de Conrad s’unirent à la plèbe pour aller piller les maisons des amis de Branas. Mais l’insolence des Occidentaux, qui se vantaient d’avoir triomphé tout seuls de l’usurpateur, et leurs violences contre les Grecs ne tardèrent pas à réveiller contre les alliés de la veille la haine nationale jamais assoupie. On se rua sur le quartier latin, comme on avait fait en 1182, au temps d’Andronic; mais cette fois, contre la foule avinée et