232 LA QUESTION TURQUE même mit ses propres églises à la disposition des réfugiés. Quelle vie intense, dans ces milieux ecclésiastiques russes, renouvelés, épurés par la terrible épreuve révolutionnaire, parmi ces évêques de trente-cinq ans, dont les grands yeux, tantôt rêveurs, tantôt éclairés d’une flamme subite, 11e se détachaient de Sainte-Sophie, temple majeur de la religion orthodoxe, que pour s’extasier sur les ruines des temples, des palais, des tours, des murailles, de Byzance enfin, « berceau de la Sainte Église » ! La ferveur religieuse et le zèle théologique semblaient s’être réveillés jusque chez les laïques. De grandes réunions étaient tenues, où l’on préparait la réorganisation des diocèses, la reconstruction de l'Église Russe dans le monde ; des conférences se poursuivaient avec des étrangers catholiques, pour étudier les possibilités d'une union entre toutes les confessions chrétiennes ; la jeunesse russe des deux sexes se pressait aux cours de théologie institués à Péra par les soins de l’évêque Benjamin, ancien aumônier de l’armée Wrangel. Je reprenais à Constantinople des conversations commencées à Rome il y a vingt, ans, avec ces mêmes Russes naïfs et savants, sensuels et mystiques, vaguement attirés par la forte discipline du catholicisme, profondément retenus par les liens traditionnels, la poésie intime et l’indéfinissable séduction de leur orthodoxie nationale. Quelquefois, en sortant de ces conciliabules familiers, où la discussion s’était prolongée sans méthode et sans but, laissant après elle, dans un cerveau latin, une étrange impression de trouble fumeux et de demi-ivresse, je me demandais si j’étais bien en Turquie...