40 LA QUESTION TURQUE a reproduit la maxime fameuse qui se déroule sous la coupole de la vieille mosquée d’Eyoub : « Celui qui t’a faitdu bien, bénis-le; celui qui t’a faitdu mal, laisse-le à Dieu ». Et mon guide d’ajauter : « Nous répétons cela malin et soir, en pensant aux Grecs ». Soudain un mouvement se produit, et l’on voit déboucher en trombe les vendeurs de journaux, criant à tue-tête l’Ikdam et le Peyam Sabah. Il est minuit et demi. L’édition que ces deux journaux font paraître pendant le mois de Ramazan à cette heure insolite est enlevée en quelques minutes. Tout ce monde, qui passe la nuit dans les cafés, dans les cours de mosquées, autour des turbés, est avide de nouvelles, ne se préoccupe et ne parle que de la guerre. On se rassemble autour de celui qui a acheté le journal et a commencé de le lire tout haut. On commente, on discute. Rarement le ton des voix s’élève; curiosité, enthousiasme ou indignation ne s’expriment pas ici en éclats bruyants : un même murmure les traduit, si singulier, si émouvant, que les voyageurs qui reviennent de l’Orienl l’entendent longtemps encore bourdonner dans leurs oreilles. Ainsi à quelques pas de Péra mal endormi, des ambassades où l’on danse, des cabarets où des princesses russes plus ou moins contestables versent aux clients un champagne problématique, une autre ville veille et s’agite passionnément, du crépuscule jusqu’à l’aube. Pendant trente nuits, les Turcs de Stamboul, assis dans les cafés, où une ordonnance de la police interalliée n’autorise la présence quedes seuls musulmans, rassemblés sur les places ou autour des églises, poursuivent leurs conciliabules, leurs méditations et leurs rêves. Méditations