26 LA QUESTION TURQUE On l'appelle « la Flûte désespérée » et voici les paroles du refrain : « L’eau coule toujours clans la rivière d’argent, La verdure des arbres est toujours brillante ; Mais mon cœur n’en ressent plus ds joie, Depuis que les étrangers ont tué mon père et ma mère. » Des hauteurs de Dahoud Pacha, nous descendons sur Eyoub. Dans la petite ville sainte, chaque mosquée, chaque médressé (école) sert de refuge à quelques familles d'émigrés. Des cloîtres abandonnés abritent les cuisines ; entre les colonnes, les femmes ont suspendu des hamacs où dorment les enfants. Je vois sortir d’une cellule un grand vieillard, qui courbe sa taille pour passer sous la porte basse : dans l’hiver de 1912, il quitta Janina, pour se réfugier en Thrace ; au printemps dernier, chassé de Kirk-Kilissé, il est venu à Constantinople ; demain s’il le faut, il ira plus loin, vers l’orient, où Dieu voudra ; et sa main, d’un geste las, montre la direction des lieux saints. A l’étage supérieur du couvent, une salle assez vaste, où par hasard il y a un plancher, sert d’infirmerie : trois larges fenêtres s'ouvrent sur la Corne d’Or. Nous approchons du lit où repose, plutôt accroupie que couchée, une vieille femme à la peau très brune, d’une extraordinaire maigreur. C’est une Arabe de l’Yémen, échouée ici, qui sait comment? « Laisse-moi partir, dit-elle au directeur en lui prenant les mains. Tu vois bien que je ne puis pas vivre ici. » Et, relevant d’un geste brusque la manche de sa robe noire, elle découvre un bras de squelette. Le directeur lui répond doucement, dan*