LA PREMIÈRE COLONISATION. 67 phores brillantes, corroyeurs et harnais ornés de pierres multicolores, cordonniers et opintsi aux lanières tressées, aux pointes recourbées, qui chausseront les pieds des montagnards, chapeliers qui, à l’Ouest, fabriquent à l’unisson la calotte de feutre blanc à la mode albanaise ; les boulangers offrent des énormes pains ronds et noirs, les rôtisseurs tournent sur le gril les boulettes graisseuses de tchévapichitchi, de viande hachée ; ici, selon la saison, les sacs de laine blanche et là les paniers de soie jaunâtre ou les planches de tabac séchant. La rue, aux pavés irréguliers, disjoints, montre son égoût médian à ciel ouvert. C’est à peine si les fils électriques ou les automobiles bruyantes nous rappellent que le xxe siècle frappe aux portes de l’Orient. Cependant, de rares décombres : les minarets, qui menacent ruines, découvrent le seul avatar notoire, le départ des musulmans; Prilep, qui en avait 8 000 en 1913, n’en recensait que 5 000 en 1919, que 2 500 dix ans plus tard ; Chtip, en dix ans, perd la différence entre 2 695 et 1 980. A Bitolj, ils passent de 20 000 à 13 000 et à 8 000. Pourtant, en général, la population est stationnaire. La vaste Prilep, qui étire, le long de ses ruisseaux nauséabonds, aux pieds de la forteresse de Marko et de la Babouna sans arbres, ses maisons de bois et ses jardinets, avait 22 337 habitants en 1914 et 18 508 en 1921 ; Chtip tombe de 15 314 à 11 662, épars sur les coteaux que#coupe la Bré-galnitsa, jaunâtre ou asséchée. Une ville fait exception, nettement en décadence : Bitolj. La vieille Monastir, serrée dans l’étau des monts dénudés, mais au débouché du Dragor sur la Pélagonie, à l’entrée de la via Egnatia sur la plaine, avait jadis une vie opulente. Le bazar turc, aggloméré derrière les auvents de bois sur la rive gauche. Les boutiques achalandées des Juifs, fourreurs, drapiers, changeurs. Derrière les grilles de fer, sur la rive droite, les hautes maisons des riches Grecs, peintes de bleu tendre ou de rouge pâle. Les palais administratifs le long du fleuve boueux, maintenu par des quais solides. Au Sud, sur les coteaux, les casernes. A l’Ouest, vers la montagne, les faubourgs turcs aux maisons de briques crues et de chaume, parfois de tuiles, aux vérandas de bois, aux étables conti-guës, aux cours minuscules où le fumier s’entasse. Telle fut la ville, telle qu’elle se montrait encore en 1916, quand les Bulgares l’évacuèrent. Elle fut prise dans le front, vidée d’hommes, comblée de ruines. De 1914 à 1921, elle passa de 48 370 à 28 420 habitants. Elle ne s’est guère relevée depuis. Sans doute elle a réparé ses ruines, redressé ses maisons. Cachés dans les vergers, les petits carrés de pierres ont repris l’aspect d’autrefois. Il n’y a plus de décombres, sauf aux portes des mosquées, près des minarets qui s’effondrent. La grand’rue neuve, la Kralia Pétra, aux boutiques ressuscitées, s’anime entre 7 et 8, à l’heure du « Corso » balkanique, d’une foule dense, voire élégante, qui passe et repasse devant les cafés. Mais les Turcs sont partis, et aussi nombre de Grecs ; il en restait en 1921 à peine 2 000, contre 12 000 autrefois. Bitolj a aussi perdu la moitié de sa population slave, partie vers le Nord. Elle paie le tribut de toutes les villes-frontière. La capitale macédonienne : Skoplié. — C’est Skoplié qui a hérité de Bitolj, qui a bénéficié de cette décadence. Du temps des Turcs, Monastir l’emportait sur Uskub, surtout quand, depuis 1878, la frontière serbe s’arrêtait à Ristovats, à 85 kilomètres au Nord-Est de Skoplié. Au débouché des trois routes, qui viennent de Koumanovo, de Katchanik, de Tétovo, pour descendre dans la