LA NOUVELLE SALONIQUE. 313 En pleine ville encore, en deçà des vieilles murailles qui grimpent depuis la Tour Blanche, amer pour les marins, jusqu’à la citadelle de l’Hepta Pyrgion, s’échelonnant entre 10 et 45 mètres, sont les monuments que l’incendie n’a pas atteints. Sainte-Sophie nous montre sa coupole, qui fut longtemps flanquée d’un minaret abattu ; Agia Paraskévi étaie les poutres de sa longue basilique de colonnes de marbre gris, de chapiteaux de marbre blanc. La rotonde romaine de Saint Georges abrite un musée d’antiques sous des mosaïques qui émergent de la chaux. C’est cette zone, exposée au soleil couchant et d’où peu à peu se découvre toute la rade, que l’on a voulu préserver, dégager comme le trésor artistique de Salonique. Et, pour rétablir l’ordre primitif, qui avait lié la rotonde à l’Arc de Galère, l’architecte projette d’unir par une avenue, encadrée de jardins, ces deux plus vénérables monuments de Salonique. C’est dans ce quartier, déblayé, que s’édifierait le « centre d’éducation ». Au milieu d’espaces de verdure, de parcs, qui remplaceraient les collines nues, semées seulement des tombes turques ou israélites grimpant de la Tour Blanche à la Citadelle, sera édifiée, dotée par les riches Grecs d’Amérique, et sur le modèle des Universités verdoyantes d’Angleterre, la nouvelle Université. Le plan vient précisément d’en être demandé à M. Hébrard. Au bas de ce quartier en construction encore, le « centre des divertissements ». Il existe, au surplus déjà, autour de cette « Tour Blanche », qui a donné son nom à un de ces mornes et bruyants cafés-concerts, émigrés d’Europe en Orient. Ce ne sont guère que des baraques de bois, qui se décorent du nom de music-halls, cercles, cafés et cinémas. En attendant les jardins, que l’urbaniste, soucieux d’aménager les poumons d’une grande ville, voudrait jeter sur la colline où se démantèlent les cimetières turc et juif, des baraques multiples abritent ici toute une plèbe de réfugiés. Au delà, le Champ de Mars s’anime avec la foire annuelle d’échantillons et ses casernes. Dans un coin, déjà pressé par des constructions nouvelles, le Lycée français — de la Mission laïque — est déjà trop à l’étroit. C’est vers le Sud que s’allonge le vrai quartier de Calamaria ou des « Campagnes ». Sur le rivage, les villas des riches Israélites et des riches Grecs, enfouies souvent dans les cyprès, les platanes et les palmiers. Certaines ont été converties en résidences de hauts fonctionnaires : le gouverneur général de la Macédoine y a son palais ; les représentants des grandes puissances y ont établi leurs consulats, celui d’Italie orgueilleusement, celui de France sans grand faste : on y mesure le rôle qu’entendent jouer dans cette métropole balkanique les grands États méditerranéens. Sur plus de trois kilomètres, le long d’une rue unique, où court le tramway, le quartier s’étire toujours. Au bout, la villa Alatini servit de prison à Abd ul Hamid déchu. En vingt ans, guère de changements, sinon que les villas s’ajoutent aux villas le long de la mer. Ce sont toujours des jardins clos, des parcs privés, où la Salonique des affaires se retire et se repose. C’est de ce côté que les plans prévoient l’extension future. De petites stations balnéaires s’installent même à la pointe Micra, au « petit cap » de Kara-bouroun, là où la côte s’incurve en regardant le Midi. Durant la belle saison, les Saloniciens vont même jusqu’à Roussion, à 7 kilomètres au Sud, s’attabler devant la mer et déguster les fritures des nouveaux pêcheurs, les réfugiés. Ainsi, la répartition des genres de vie urbains dans la Salonique moderne ne diffère guère topographiquement de la localisation d’autrefois. La vie ouvrière La Macédoine. 40