CHAPITRE V LA PREMIERE COLONISATION Le flux et le reflux slaves. — Le milieu géographique n’explique pas seul le mouvement de colonisation. Celui-ci est sous la dépendance de nombreux facteurs historiques, dont quelques-uns ont leur origine à une époque fort lointaine. II s’est créé dans la masse iougoslave une communauté de genres de vie, voire de pensée, dont le géographe ne peut faire abstraction. C’est cette communauté qui explique la facilité de déplacements des populations, qui ne sont point dépaysées, en particulier de la Zagrebtchka Gora ( « Montagne de Zagreb » ) à la Velechka Klissoura ( « Défdé de Vélès »). D’une part les vallées de la Morava et du Vardar, jointes par les seuils faciles de Préchévo et de Koumanovo, de l’autre la suite des bassins unis par le défilé de Katchanik, depuis la Métokhia et le Kossovo jusqu’à la Pélagonie, furent toujours des routes de migrations, de ces « mouvements métanastasiques », suivis pas à pas par Cvijic et par son école1. Tandis que la Macédoine méridionale ne vit, durant des siècles, que des déplacements locaux, de village à village, au contraire la Macédoine septentrionale fut le théâtre d’un lent, perpétuel, mais changeant brassage. Ce fut le « courant vardarien » de Cvijic, au reste multiple. Il faut, dans le cours de l’histoire, distinguer au moins trois grands courants. Le premier est venu du Nord : à l’époque de Stiépan Némania, le « rassembleur des terres serbes », et de ses successeurs, tels que Svéti Sava, le Saint Louis serbe (xne-xme siècles), ce fut la descente de la Rachka (sandjak de Novipazar) montagneuse vers les hautes plaines de Vieille Serbie (Métokhia et Kossovo) et de Macédoine ; ce mouvement continue à la fin du xme siècle sous Milioutine, le roi bâtisseur, au milieu du xive sous Douchane, le «. tsar » législateur ; il cesse naturellement à la bataille de Kossovo (1389). Mais alors, depuis la domination ottomane et pendant cinq siècles, un nouveau courant le remplace, venu du Sud : d’Okhrid et de Débar, de Bitolj et de Prilep, des petites plaines de la vallée du Vardar, toutes soumises au dur régime des tchiflik, les bégloutchara (tchijtchia) se pressent surtout sur les deux grandes routes marchandes, celle de Skoplié à Vranié et à Nich, celle de Skoplié par les vallées de la Kriva et de la haute Strouma vers Sofia. On ne compte pas moins de huit migrations en groupes : des colonies macédoniennes s’installent à Belgrade, à Sofia, et jusqu’en Hongrie (on dit 400 000 immigrants en 1483). 1. Cf Cvijic : Les mouvements métanastasiques dans la péninsule des Balkans (Le Monde slave, 1er juillet 1917), et La Péninsule balkanique, P., Colin, in-8», 528 p., p. 112-152 et carte. — Id. : Des migrations dans les pays yougoslaves (Revue des Études slaves, t. III, 1923, p. 5-26 et 254-267. — Id. : Naséliia serpskih zémaliia — populations des pays serbes —, Belgrade, 1902-1928, 25 vol. in-8° et 6 atlas.