LES CONTACTS. 23 Centre balkanique, aussi bien en Albanie, en Ëpire, en Thessalie qu’en Macédoine. Ici ils sont nombreux, surtout dans l’Ouest, le Vermion Oros (0. de Verria), la Malaréka.la Néretchka planina, où leurs villages perchés tiennent souvent les passages, comme Vlakhoklissoura, à 1 230 mètres sur la route du Roudnik à Castoria, Pissodéri à 1 370 mètres, sur la route de Flôrina à Kortcha, d’autres dominant la route de Monastir-Okhrid, tels que Ternovo, Mégarévo ou Gopèch, au reste détruits aujourd’hui, ou cachés dans les replis du Pinde dans le bassin de Grévéna. Entre leurs villages des pentes et les kolibé ou katouni des cimes, ils vagabondent deux fois l’an. Au printemps, précédées du tsaïas, à la houlette majestueuse, encadrés de chiens, suivis de petits chevaux et d’ânes, qui portent, dans des corbeilles, dans des sacs de laine, la marmaille et le campement, s’ébranlent toutes les familles du village. Le tchelnik héréditaire, au manteau ajusté de laine blanche, a négocié les terrains de parcours, où l’on ouvrira le soir les tentes de poils, a réparti entre les kalyvia, les chalets de l’alpage, le pacage estival. A l’automne on redescend. Il y a une vingtaine d’années encore, pas moins de 50 000 nomades parcouraient ainsi les pistes du Centre : des montagnes, où tombaient les premières pluies d’automne, ils gagnaient les plaines du littoral albanais, la Thessalie, la Campagne salonicienne. A 1 260 mètres au-dessus de la Pélagonie, les pentes schisteuses, noires et nues, entre les forêts et les rocs, le gros village de Krouchévo — aromoune et slave — fait une tache claire. Les maisons du quartier bas — le quartier valaque — couvertes d’ardoises mal équarries, colorent de bleu, de jaune, ce paysage sombre. L’élève des moutons, des brebis est l’occupation générale. Telle famille possède 2 000, 3 000 bêtes. On descend l’hiver dans la plaine d’en bas, souvent dans le Tikvech, plus rarement sur les steppes grecques de Kaïalar ou de Campanie. Ce va-et-vient cependant n’est plus le seul. L’habitude de courir les routes a créé une émigration. Les jeunes gens vont chercher fortune, qui en Egypte, qui au Maroc, voire en Abyssinie et en Argentine. Ils reviennent au village pour prendre femme ou pour dépenser les écus gagnés. Les Slaves ne sont pas moins nomadisants. Ils se contentent pourtant de courir les villes balkaniques, par bandes de trente ou quarante, toujours étameurs de cuivre : à Prilep, Vélès, Chtip, Kotchané, ils se font confier chaudrons et casseroles; ils se séparent à la limite de la Macédoine, allant chacun vers ses espoirs. Krouchévo s’est ainsi, et petit à petit, vidé. Témoin d’une civilisation traditionnelle, mais atteinte. Ailleurs, d’autres « Vlaques » sont de purs Serbes. Ainsi les Miiatsi de la Radika, affluent du Drin noir. Entre les plateaux karstiques du Stogovo, à l’Est, et du Korab à l'Ouest, qui montent à 2 300, à 2 600 mètres, la Radika s’est créé dans les schistes une vallée profonde, dont le fond garde figuiers et vignes, dont les flancs, découpés en trois terrasses superposées à 600, 800 et 1 000 mètres, portent des monastères et des villages. Là, la vieille industrie du bois a orné l’iconostase de Svéti Iovan Bigorski ou exporté ses sculpteurs dans toute la péninsule balkanique. Ici, les derniers villages ne sont que des stani d’été, entre les pâturages ou quelques pauvres champs de seigle. L’hiver, il y a peu d’années encore, les voyait arriver dans la Campagne salonicienne. Mais l’invasion albanaise, le vol des moutons — jusqu’à 40 000 qui disparurent de 1900 à 1920, — les difficultés de la transhumance en Grèce, détruisent ce genre de vie. On émigre encore, et les villages se dépeuplent. Mais ce sont des maçons, des colporteurs, des décorateurs, qui s’en vont, et sans esprit de retour.