32 LES FACTEURS DE LA CIVILISATION MACÉDONIENNE. la Macédoine indomptée, le pays de la Révolte. Les plaines macédoniennes formèrent au contraire la Macédoine soumise. Sur les grand’routes de la conquête, les Turcs réduisirent à un demi-servage, au colonat le paysan chrétien, Hellène ou Slave. C’est le domaine du tchiflik, de la grande propriété. Le beg y fait cultiver ses terres, les seules fertiles de Macédoine, par les raïa, les « sujets », les tchiftchia, disent les Slaves. Encore aujourd’hui les villages de tchiflik se remarquent au pied des monts, sur les plates-formes, lacustres ou fluviales, des bassins fermés, des vallées. Leur forme géométrique les fait de loin reconnaître. Leurs bâtiments, de torchis ou de briques crues, contrastent avec les villages bien assis, de pierres sur la pierre, bien plus irréguliers et libres, au milieu de la Montagne. Le konak du seigneur, devenue souvent maison communale, carré, massif, domine de plus misérables et de plus basses demeures. Le tchiflik a été tant de fois décrit par les voyageurs du xixe siècle, qu’il est superflu d’y revenir. Voici le tchiflik de Bardovtsé, sur le Lépénats, près du confluent avec le Vardar, à 6 kilomètres Ouest de Skoplié, 1 400 hectares, qui appartenait, il y a quelques années encore, à Khiazim bey, président à Stamboul de la Cour de cassation1. Entre deux cours, une grande bâtisse quadran-gulaire : une antichambre, qui communique avec un vaste grenier, à droite ; un atelier avec le métier à tisser à gauche ; sur les deux ailes d’un côté des chambres, de l’autre des étables à buffles et à moutons ; en arrière une vaste étable pour les boeufs et les moutons et la maison d’habitation. Dans la cour de devant, de petits bâtiments épars, cabane pour le valet, logement du fils cadet et de sa femme, et, un peu isolée, demeure du fds aîné et de sa famille ; puis, tout en hauteur, pour se protéger des rats, porté sur des piquets de bois, le grenier à maïs ; plus loin l’aire à battre le grain, la laiterie, l’habitation de quatre autres fils* Dans la cour postérieure, des hangars, où sèche la paille, des tas de paille et de roseaux. L’enclos n’a pas moins de 30 mètres de large sur 50 de profondeur. Telle se présentait la ferme d’un colon. Cet échantillon se répète à vingt exemplaires dans le village : deux rangs de maisons s’alignent, murs de pisé, toits de tuiles, de part et d’autre de la route. A l’écart, vers le Nord, le propre domaine du beg, que domine le selamlik, logement du maître, et, à part, le haremlik, la boulangerie, la forge, la fontaine, les communs. Le tout clos d’une solide muraille de pierres, avec de petites tours carrés aux angles. Un air féodal encore. En 1918 on ne comptait pas moins de quarante tchiflik dans la seule plaine de Skoplié. Us occupaient tous la partie basse, tandis que les pentes montueuses étaient peuplées de villages libres, musulmans ou bien chrétiens. Même répartition dans la plaine de Vélès, avec les particularités que la topographie impose : à l'opposé du large bassin de Skoplié, ne débouchent sur la plaine de Vélès que d’étroites vallées torrentielles ; la plaine du Has est rejetée vers l’Ouest et le Sud-Ouest, drainée par les cours moyens de la Topolka, de la Babouna : là se trouvent le pays féodal, les tchiflik, alors que les villages libres se serrent autour des gorges du Vardar, de la Brégalnitsa, et, au delà du Has, sur les pentes de la Babouna rocheuse. Au contraire, dans la plaine vardarienne du Tikvech, les tchiflik s’approchent du lleuve, s’éloignent du rude Morikhovo, de la vallée encaissée et sombre de la Tserna, la « Rivière Noire » : c’est sur la steppe à mou- 1. Ce tchiflik a été décrit par Doflein : Mazedonien, lena, 1921, in-8°, 592 p., et surtout par Sçhultze Jena : Alakedonien. Iena, 1927, in-8°, 250 p., qui l’ont visité l’un et l’autre durant la Guerre. Depuis lors, le konak a été transformé en magasin militaire et les terres distribuées aux paysans.