LES BORNES. 9 C’est que, de place en place, une voie transversale a coupé le chemin du Drin et des Lacs. C’est au croisement de la via Egnatia, sur la plaine alluviale qui a rétréci le lac d’Okhrid au Nord, que se sont placés, marché et citadelle, les bourgs jumeaux de Strouga et d’Okhrid : celui-là mi-noyé dans ses îles, qui étale sur ses éventaires fruits et légumes de ses jardins ; celui-ci mi-perché sur son rocher, le hrid, qui attache le cordon littoral, fermeture du lac, et commande la passe étranglée à l’Est dans la montagne. C’est au Sud, à la rencontre du sinueux chemin, qui mène vers Flôrina et Bitolj au Nord-Est, vers Castoria et l’Anassé-litsa au Sud-Est, et, à l’Ouest, vers les larges vallées de l’Albanie du Sud, ouvertes aux appels de la mer et de la liberté, que s’est placée Kortcha (la Koritsa des Grecs). Le gros bourg, bâti et pavé de grès, est peuplé de ces riches marchands qui firent fortune avec la Grèce, édifièrent les coupoles orthodoxes de Saint-Georges et les gymnases, d’où sortit l’indépendance albanaise. C’est vers le Nord-Ouest que courent les vallées et les idées. L’Anassélitsa. — Si varié que soit le chemin de ronde, il n’est pas plus facile aux confins des terres grecques. Entre le Pinde et l’Olympe, nous sommes sur la courtine macédonienne, précédée par la vallée profonde, angle rentrant, de l’Haliacmôn. La carte en dessine la direction. Mais apparent seulement est le lien que trace le fleuve. Fragmentaires sont les routes qui s’engagent dans la vallée : aux deux extrémités occidentales, deux culs-de-sac, à peine liés avec le Nord, avec le Sud, Castoria et Grévéna. Entre les deux, la haute vallée est un pays bloqué en hiver par les neiges et les boues, une petite unité montagnarde, cultivée par places, piétinée par les Valaques et leurs moutons, l’Anassélitsa. Un autre sillon étroit, parallèle à celui des Lacs, permet d’y accéder du Nord : la vallée de la Zélova, découpée dans les granulites sombres, taillant, sur les marnes grises, des mamelons qui portent champs de maïs et vignes, olîrant à ses villages les cônes de déjection des torrents latéraux. Foule d’autres rivières au reste s’assemblent dans le bassin de Castoria pour former l’Haliacmôn des Grecs (ou Vistritsa des Slaves). Petit à petit le fleuve s’enfonce dans les schistes décomposés, dans les argiles glissantes. L’érosion découpe les pentes caillouteuses en multitude de ravins. C’est là que le maïs ou le tabac s’étale. C’est là que la route passe durant la belle saison. L’hiver la piste gluante est presque impraticable, même lorsqu’elle n’est pas ensevelie sous la neige, même quand les crues n’ont pas emporté les ponts de bois qui sautent par-dessus les ravins. Cependant de place en place des étapes, de gros bourgs. Difficile est l’accès de Castoria, qu’on vienne du Nord par la piste tourmentée de la Zélova ou de l’Est par la route de montagne, partie de 600 mètres, grimpée à 1 230 mètres au « défilé des Vlaques », Vlakhoklissoura, le village perché, redescendue à 687 mètres. Les maisons blanches de Castoria, pressées sur sa presqu’île rocheuse, les ruines rouges de ses soixante-douze églises byzantines, qui se mirent dans son lac, témoignent d’une activité ralentie, et non éteinte. Pourtant cette activité un peu spéciale — le commerce des fourrures — n’en fait qu’une clairière marchande entre les forêts de la Montagne. Ailleurs s’enfouissent les conservatoires des libertés grecques d’autrefois : une large terrasse de la rive gauche, surplombant la vallée encaissée, porte dts vergers, des vignobles, et le gros bourg de Lipsista (Anassélitsa) : on aperçoit dès le lointain les carrés massifs de ses deux forteresses modernes, l’École, la Coopérative des tabacs, symboles de La Macédoine. 2