62 LA NOUVELLE MACÉDOINE IOUGOSLAVE. flik sahib a été exproprié et ses terres furent distribuées à 32 familles indigènes. Dans l’Ovtché polié les beg turcs sont généralement partis, et on a pu aisément attribuer leurs terres aux tchiftchia: ainsi aux 25 familles indigènes d’Erdjeliia (15 km. N.-O. de Chtip). Dans le bassin de Skoplié presque tous les villages d’en bas sont peuplés maintenant, avec quelques colons du dehors, par les anciens Ichiftchia : maisons de torchis et chaume de Katlanovo, par exemple, à l’entrée des gorges de Taor, qui contrastent avec les édifices de briques et de tuiles des immigrés ; à Troubarévo (8 km. E. de Skoplié), les anciens tchiftchia, chassés par le beg en 1908, sont revenus sur leurs terres. En somme, il n’y eut pas de règle : l’application pratique fut souple, s’adaptant aux circonstances, à la nature du terrain et aussi aux forces locales. Ce transfert de propriétés n’alla pas naturellement sans injustices ni douleurs. Des familles turques furent ruinées. « Les musulmans souffrent de trois choses, me disait l’un d’eux : de la réforme agraire, des evkaf et de l’école ». En effet les biens-fonds religieux (evkaf) furent confisqués1, mais le vakouf de la mosquée accaparait foule de terres et les fidèles émigrèrent en nombre. Les misères individuelles furent plus réelles. Tel grand propriétaire d’autrefois, qui détenait dans le Tétovo 300 hectares, dans l’Ovtché polié 300 autres, et 1 400 dans le bassin de Skoplié, ne se dit payé que de promesses : il n’est pas satisfait de son indemnité (près de 200000 dinara) et s’avoue incapable de tirer parti des 188 hectares incultes, qui lui ont été laissés. Il est très difficile de faire la part exacte de la vérité dans ces plaintes. Dans tous les pays balkaniques, atteints par les réformes agraires, les doléances sont aussi vives. Le fait qui subsiste est la disparition de cette grande propriété musulmane, qui n’avait pas bougé depuis cinq siècles. De temps à autre, sur ces grandes plaines monotones, un konak, la maison du beg autrefois, offre sa tour cubique, massive ; tout autour les petits bâtiments des métayers demeurent, et les moutons s’y serrent pour s’abriter du soleil aux heures chaudes de l’été ; les logements, insuffisants, regorgent d’enfants. Les paysans reprochent souvent au lot d’être trop restreint. Le partage de la terre macédonienne n’a pas résolu la question sociale : il fut effectué comme une simple mesure administrative, trop simpliste par conséquent. Les premiers immigrés. — En même temps, et sans que l’État eût préparé l’arrivée, une vague de colons refluait des nouvelles contrées de l’Ouest et du Nord vers les nouvelles contrées du Sud. Elle vient de tous les côtés, des terres pauvres de Dalmatie ou du Monténégro, de sols riches de Slavonie ou de la Voïvodina, des zones moyennes de Bosnie ou de Serbie. Il n’est pâs très aisé de discerner les motifs précis de ces déplacements : le paysan ne livre pas volontiers, et surtout à un étranger, les raisons profondes de sa conduite. Quand il vient du karst dalmate ou monténégrin, il est évidemment attiré par l’appât des plaines de culture facile. Quand il a quitté les plaines pannoniennes, bien plus fertiles que la Macédoine, c’est qu’il n’avait pas assez de champs pour nourrir sa famille et pas assez d’argent pour acheter cette terre chère. Quant aux Bosniaques ou aux Choumadiens, délaissant ces zones bocagères et saines, leur départ a sans doute moins des causes économiques que les nécessités politiques, qui visaient 1. 11 en fut de même des biens du clergé orthodoxe : l’higoumène (prieur) du monastère de Sv. Naoum sur le lac d’Okhrid dut partager 300 hectares entre 60 de ses paysans.