64 LA NOUVELLE MACÉDOINE IOUGOSLAVE. L’étape de 1923. — L’année 1923 est une de ces années tournantes, qui peuvent décider du sort d’une réforme. La lente montée de la colonisation, soit interne, soit venue du dehors, que nous avons constatée, ne s’arrête pas sans doute ; mais sa croissance, jusqu’alors continue, suit une marche bien plus paresseuse. La baisse est nette en 1923 : le département de Koumanovo reçoit encore 90 familles (110 en 1922) sur 626 hectares ; mais celui de Skoplié n’en accueille plus que 23 (au lieu de 80 l’année précédente) sur 200 hectares ; ceux de Bitolj et d’Okhrid seulement 20 (au lieu de 42) sur 152 hectares. Les deux autres sont à peu près stationnaires : 29 familles dans le Tikveeh (30 en 1922) sur 270 hectares, et 95 dans la Brégalnitsa (99 en 1922) sur 536 hectares. En même temps, ce qui est plus grave, les nouveaux colons abandonnent en partie la terre. C’est surtout dans l’Ovtché polié et le Iéjévo polié (la «Plaine des hérissons ») voisin que se manifeste ce nouvel et inquiétant phénomène. Au début de 1924, à Erdjéliia, dans l’Ovtché polié, les 178 familles de colons sont réduites à 122 ; à côté, à Kadrifakovo, les 52 familles immigrées ne sont plus que 33 ; à Nova Batania, dans le Iéjévo polié, sur 624 familles venues, il n’en reste plus que 15. Dans tout le département de la Brégalnitsa, on n’a utilisé que 4 465 hectares sur les 18 210 réservés à la colonisation ; dans celui du Tikveeh, 6 128 sur 18 000 destinés tant aux indigènes qu’aux immigrés. Dans le département de Koumanovo, apte à recevoir 70 colonies, il n’y avait que 33 villages qui étaient pourvus de cultivateurs nouveaux. Un département, celui de Tétovo, n’avait reçu aucun colon. Partout des terres délimitées, arpentées, restaient en friche, vides. Terres arpentées Familles pourvues Terres distribuées Départements (ha. fin 1922) (colons, indigènes) (ha. fin 1922) Koumanovo....................8 595 244 1 820 Skoplié........................3 754 207 3 552 Tétovo........................1 071 — — Bitolj et Okhrid................3 412 174 1258 Tikveeh........................13 378 295 3 693 Brégalnitsa......................14 000 206 2 911 Total..................44 110 1 126 13 234 L’écart est donc énorme entre les espoirs conçus et le travail réalisé. Les causes sont multiples, administratives, psychologiques, sociales : le désordre, l’incapacité, l’intervention de la politique dans un domaine où elle n’avait que faire, la résistance des indigènes à la distribution des terres de vaine pâture, les irrégularités et les abus de certaines coopératives agraires, le manque de directives des autorités centrales (puisqu’il fallut attendre 1922 pour avoir une charte de la colonisation, au reste sur bien des points encore imprécise). Pourtant, la cause essentielle de ce demi-échec fut la méconnaissance des conditions géographiques de la colonisation : ignorance des réalités physiques, puisqu’on voit des colonies s’établir sur des terrains balayés par les vents ou dépourvus d’eau, comme cette extraordinaire histoire de Nova Batania, où l’on commença par bâtir, où l’on s’aperçut ensuite qu’on ne peut obtenir de l’eau ; ignorance des facultés humaines, car on gaspilla les forces en ne dirigeant pas vers les mêmes coins les colons venus des mêmes régions ; ainsi, rien que pour le département de Koumanovo, on trouve en 1923 125 familles de Serbie, 86 familles croates et slavones, 31 venues de Bosnie et d’Herzégovine, 22 de Dalmatie,