LA VILLE GRECQUE, JUIVE ET MUSULMANE. 295 construction. La valeur des terrains n’était pas inférieure à 97 500 000 drachmes, celle des bâtiments à abattre à 16 millions : au total, une somme de 113 500 000 drachmes à débourser, à une époque où les réfugiés commençaient à affluer en Macédoine. Ainsi, aux difficultés purement matérielles — 100 hectares à déblayer — s’ajoutaient les exigences financières. Outre la somme globale à trouver, il fallait verser les indemnités et, auparavant, les évaluer : entreprise qui n’est point facile en général, mais qui, dans un État neuf, où les intérêts privés tiennent encore mille rouages, est spécialement malaisée. Il fallait faire admettre le principe de l’intérêt général. La technique des expropriations dans l’Europe occidentale est d’attribuer aux propriétaires des indemnités pour la seule portion de leurs immeubles cédés au domaine public pour des mesures d’utilité générale. S’engager dans cette voie c’était sacrifier le plan d’ensemble, autoriser sur les propriétés restantes des constructions particulières. Les sinistrés n’avaient que trop tendance à bâtir sur les vieux emplacements des habitations même provisoires. On adopta la conception la plus révolutionnaire : on décida que la valeur des propriétés, accrue considérablement par le nouveau plan de la ville, appartient à la communauté, qui en dispose. Autrement dit, ce fut l’expropriation générale. Le principe proclamé, la rigueur de la mesure fut atténuée dans l’application : après avoir prélevé une part proportionnelle aux futures dépenses, l’État attribua aux propriétaires une portion de la valeur (accrue) du bien-fonds. Ce fut l’objet de la loi 1394 du 3 mai (v. s.) 1918. Elle est divisée en six parties : 1° Estimation des propriétés anciennes. On prit pour base la valeur de la propriété cinq ans (plus tard trois ans) avant l’incendie, terrain et bâtiments élevés et utilisés avant l’incendie. Une commission se réfère au cadastre, puis fait une estimation. Le président du tribunal de première instance fixe l’indemnité. De ce jour, la propriété passe au « groupe immobilier », pourvu de la personnalité civile et représentant l’ensemble des propriétaires de la zone à reconstruire. 2° Emission de titres cadastraux. Tout propriétaire d’un immeuble transféré reçoit une obligation foncière, un bon représentant la valeur nominale de son ancienne propriété. Il ne peut s’en dessaisir (en 1920 une nouvelle loi autorisa la vente des bons de plus de 30 000 drachmes, dont la vente dut alors se faire par acte notarié). Il peut cependant avec ce bon emprunter en banque, pour un maximum des 3 /4 de la valeur. Ainsi, on empêche les jeux de bourse ou la monopolisation des bons. 3° Lotissement en nouveaux terrains. Une commission de cinq membres, ingénieurs et architectes, est chargée d’établir, sur la base du nouveau plan de la ville, le lotissement des étendues transférées au « groupe immobilier ». C’est ici que commence le rôle de nos urbanistes. La place prépondérante fut occupée par l’architecte français Ernest Hébrard, grand prix de Rome, qui s’était déjà signalé par la reconstitution archéologique du palais de Dioclétien, à Spalato, et qui, mobilisé à l’armée d’Orient, eut le privilège d’être écouté, soutenu par Yénisélos, et l’énergie de triompher en quelques années de toutes les difficultés. M. Hébrard sut imposer son programme, la reconstruction totale du centre de la ville. Nous l’étudierons plus loin. Ainsi, le lotissement se modela sur le nouveau plan de Salonique.