LA PREMIÈRE COLONISATION. 57 Les émigrants sont au reste remplacés par des colonies albanaises, qui s’avancent en trois bataillons compacts vers Novipazar, vers le Kossovo, vers Skoplié et la future Koumanovo, sans oublier, au xix6 siècle, la colonisation récente des mouhadjir, Turcs appelés par les sultans d’Asie Mineure : tout un faubourg de Skoplié, à l’Est sur la rive droite du Vardar, est repeuplé ainsi de, musulmans. Enfin, depuis la libération de 1912, c’est un nouveau flux venu du Nord : il apparaît d’abord timide, est arrêté par les années de guerre, recommence avec plus de continuité depuis 1919 ; mais il s’alimente — vu la création du nouveau royaume iougoslave — à des sources plus abondantes : les sols karstiques de Dalmatie et du Monténégro, les terres fertiles, mais chères, du Srem et du Banat, les bocages de Bosnie et de Choumadia envoient, dès les premières années, une émigration spontanée et inorganique1. Il est très difficile de se rendre compte de l’importance de ce premier reflux slave. On ne possède nulle statistique sur cette immigration spontanée, provoquée par la situation politique, par le double départ des « Turcs » et des Albanais. Une enquête sur place se heurte à des difficultés insurmontables, car les Albanais, les seuls qui soient restés en nombre, se disent citoyens serbes et parlent serbe. Pourtant quelques exemples peuvent aiguiller sur le changement. La Skopska Tserna Gora — la « Montagne noire de Skoplié » — avait, nous l’avons vu, encore au début du xxe siècle une triple population (v. carte 1, pl. II). Les villages de tchiflik, qui couvraient la plaine au Nord de Skoplié, n’abordaient que les premières pentes, sans dépasser 300 mètres. Villages slaves et villages albanais se distribuaient les ravins, qui découpaient la Montagne, ceux-là généralement plus bas, ceux-ci rarement au-dessous de 500 mètres, parfois à 900 mètres, comme Brodats. En 1905, on comptait encore, rien que sur les pentes regardant le Midi, sept villages purement albanais, des pléména (tribus) Dibri et Bérieh (de Débar et Bérat), venues en 1690, plus un village de l’autre côté de la Montagne, Blatsé sur la pente Nord-Ouest2. Aujourd’hui il ne reste plus un Albanais à Baniané, Koutchévichté, Poboujié, Glouovo et Tsré-chévo, tous villages du versant Sud. Sont encore albanais, outre Blatsé au Nord, Liouboten et deux épars de la commune de Brodats (Brest et Tanouchévats). Tous les autres sont purement slaves. Quant aux beg turcs, propriétaires des tchifllik, ils sont, sinon partis tous, pour le moins dépossédés. Ce fut l’objet des lois agraires3. Ces conjonctures historiques expliquent que les difficultés mêmes de la colonisation, nées d’un sol et d’un climat, somme toute, peu favorables, n’aient que partiellement rebuté les immigrants. C’est qu’ils trouvaient, dans un milieu physique très différent, des genres de vie très semblables : un régime social, dont la base est la zadrouga, la grande famille patriarcale ; des traditions religieuses et familiales, dont le trait le plus connu est la slava, la fête; des habitudes d’entr’aide, qui se manifestent par l’assistance des pomagaïné, des collaborateurs bénévoles 1. Slijpckvic : Kolonizaciaja u Juznoj Srbiji —la colonisation de la Serbie du Sud — (ên croate) (Nova Evropa, Zagreb, 26 août 1928, p. 111-129). 2. Cf. la carte publiée par Tomitch : Skopska Tserna Gora (In Naséliia serpskih zémaliia, t. III, Belgrade, 1905, p. 407-520 et atlas). 3. La carte des tchiflik, publiée par Schultze Jena en 1927, a été dressée en 1916-1918. Cf. — Schultze Jena : Makedonien, Landschafts und Kulturbilder, Jéna, 1927, in-8°, 250 p., 86, tableaux photographiques et 3 cartes ; ouvrage superbement illustré, qui reste vrai en ce qui concerne les « paysages ». mais qui n’est qu’un document historique pour tout ce qui a trait à la « civilisation ». La Macédoine. 8