288 SALONIQUE. vases ; au plafond, des tableautins aux tons de pastel montrent des maisons, des ponts à dos d’âne rouge brique, des oliviers et des cyprès bleu foncé, des voiliers aux trois mâts blancs voguant sur la mer bleu clair : plus d’arbres, plus d’ombre, plus d’eau que de coutume dans la désolation macédonienne. Dans l’église ronde voisine, les rescapés de l’incendie ont tendu des parois de toiles, ont amassé des grabats souillés, où s’étale, inconsciente, une promiscuité toute orientale. Là encore, le même contraste. Autour de ce remue-ménage de cases entoilées, des piliers de bois frustes portent une galerie circulaire. Les bois s’effritent et disparaissent dans les sommaires fourneaux de cuisine. Mais dans les reflets brillants du plafond verni éclatent des gerbes, des couronnes de fleurs ciselées ; sur la voûte centrale, dans des cadres d’entrelacs fleuris, des palais, des arcades, des vasques d’un jaune fané ; d’immenses arbres vert-de-gris, de ce vert poussiéreux des campagnes balkaniques ; des nuages rougeâtres du soleil couchant, se détachant sur les ciels d’un bleu sombre ; à la clé de voûte, le soleil qui éclaire ces tableaux. Au fond du chœur, d’autres fresques : mosquées, palais immenses, et d’autres paysages encore, coupés d’étoiles d’or, d’arbres verts, de bateaux voguant sur les flots tranquilles d’azur, miroitant sous le vernis. Nous rentrons en deçà des murs. La rue Saint Dimitrios déjà se rebâtit, s’anime : aux balcons, toujours roses, bleus ou jaunes, qui s’avancent au devant l’un de l’autre dans cette rue étroite, des robes prennent le frais. Des Turques passent, emmitouflées des pieds à la tête dans leur voile, leur mante, leur longue jupe noire. Des Deunmés élégantes ne gardent que la coupe du vêtement traditionnel: le voile, qu’on peut relever, est diaphane, de gaze fine ; la mante, courte, laisse passer le bras aux attaches légères et blanches ; la jupe, courte, ne cèle point les chevilles gainées de bas soyeux ; et la sombre couleur a fait place à une chatoyante soie bleue. Voici des Juives pesantes, la petite coiffure jaune posée sur la tête longue ; la chevelure, coupée après le mariage, est cachée sous un coussin de soie vert criard ; les seins abondants roulent sous le corsage blanc ; le tablier court, aux fleurs voyantes, s’étale sur un ventre plein de promesses, et le tout s’enveloppe à demi dans le riche manteau de soie, aux rayures bleues et blanches, au cintre évasé, aux manches élargies. Les Grecques, aux cheveux plats et noirs, en robes de lingerie blanche, trottent seules dans une mode moderne. Kaléidoscope de toutes les civilisations de l’Orient. L’incendie du 18 août 1917 a dévasté plus de cent hectares, détruisant tout le quartier juif, gagnant, à l’Ouest, le « quartier franc », le quartier du commerce, enfouissant, outre les églises byzantines, presque toutes les synagogues, des écoles, la poste, l’hôtel de ville, réduisant en cendres le logement de 72 000 personnes. Là ne sont plus que murs noircis, tas de pierres écroulées. Mais les flammes ont épargné la ville haute, le quartier turc. Les petites maisons fermées paisibles, entourées de leurs jardinets clos ; les cafés sales, regorgeant de consommateurs ; les femmes voilées, noires, se hâtant, toujours altérées, vers les fontaines : le spectacle n’a pas changé, répété sans cesse dans toutes les villes de l’Orient. Comme barrières au Nord, les hautes murailles rouges, aux créneaux, aux mer-ions effrités, aux tours mi-démantelées. Derrière, l’âpre pays, mouvementé et nu, coupé de ravineaux, laissant paraître le roc pelé, sur lequel des enfants paissent quelques chèvres, fillettes en culottes, garçons au fez rouge. De là, la vue immense de la rade, qui, entre l’Olympe, coiffé de nuages, et la péninsule