70 LA NOUVELLE MACÉDOINE IOUGOSLAVE. et les boutiques, les magasins et les entrepôts du quartier grec ; à l’Est, mi-cachées dans les jardins, dominées par l’église, qui fut longtemps exarchale, les cubes aux toits plats de la ville slave. Au centre, la ville turque avec ses minarets et ses bazars : voici, comme partout, les rues spécialisées, les éventaires des selliers, des fabricants de babouches ; les marchands d’édredons battent le coton, dont les touffes blanches volent sur la lyre monocorde ; les marchands de draps empilent les pièces ; les orfèvres tapent et filigranent. Le fez est porté encore, et, sur le visage des femmes, le voile noir est de rigueur. La vieille ville de 1914 est restée figée, immuable (v. fig. 18). Cependant, les 28 604 musulmans de 1913 (sur 43 847 habitants) sont tombés en 1919 à 22 063 (sur 53 410), en 1921 à 15 609 (sur 58 765), dont 13 980 «Turcs» (le reste est albanais)1. La population croît d’une manière régulière (60 354 en 1922, 62 432 en 1923). Mais la répartition des différentes religions ou langues n’est plus du tout la même : les orthodoxes, qui étaient 13 331 à la veille de la guerre, montent à 20 934 en 1919, à 22 135 en 1921, et ce sont presque exclusivement les Slaves (321 Grecs et Aromounes en 1921) ; le nombre des Juifs est à peu près stationnaire (2 800 en 1921). C’est la rive droite du Vardar, jadis inondée, mi-protégée par le quai, la digue et une ébauche de surélévation, qui a reçu l’afflux des Slaves. Jadis, cette zone basse (245 m. près du fleuve, 247 m. au S.), jusqu’aux premières pentes (334 m. à l’O., 291 m. à l’E.) était occupée par des jardins potagers et des prairies. A l’Est, entre les prés humides, que borde le ruisseau Mekhana, et le Vardar, Abd ul Hamid avait installé un nouveau quartier turc, peuplé de mouhadjir, émigrés musulmans d’Asie : rues bien tracées de l’Ouest à l’Est, petites maisons basses de briques crues et de tuiles. Au centre, le vieux quartier européen, autour de la petite église franque : là, entre le fleuve et la gare, au Sud, hôtels et magasins commençaient à s’ouvrir, encore assez épars, façades de courtes rues qui masquaient les jardins. A partir de 1920, l’essor est donné, et l’on bâtit : 6 maisons nouvelles en 1920, 88 en 1921, 74 en 1922, 109 en 1923. On pave la « rue du Roi Pierre », qui mène de la gare au « pont de Douchane » ; on la borde de trottoirs ; les magasins vitrés étalent les modes, vêtements, chemises, chapeaux, à l’instar des capitales balkaniques. Le soir, les tables des cafés regorgent de monde. Les paysannes au long manteau de bure rutilante, aux manches de chemise brodées, au fichu traditionnel, croisent les calèches des Turques à la robe de soie noire, et les élégantes aux jupes courtes et aux cheveux courts, vêtues à la dernière mode occidentale. Au delà, vers l’amont, parmi les vastes prés et les vergers, paraît l’embryon d’une ville toute neuve : les boulevards sont tracés, avec quelques arbres maigres ; des rues neuves, encore toutes poudreuses l’été et fondrières l’hiver ; de-ci de-là, quelques maisons de béton ou de briques. Plus loin encore, des peupliers respectés donnent les rudiments du parc futur. A l'horizon, la pyramide du Char mure de sa majesté, violette sous le soleil couchant, la plaine et la Macédoine. 1. La précision de ces chiffres ne doit pas faire illusion : la source des statistiques est très diverse, souvent paroissiale ; ainsi, les chiffres de 1919 varient de 35700, 36670 à 51758 ou 53410 pour la population globale. Le premier recensement sérieux fut effectué les 3-4 août 1929 comme exercice par les élèves statisticiens : il donna 73 196 habitants.