266 SALONIQUE. La liste des fournisseurs n’est pas moins topique. Elle illustre par un exemple la situation économique générale de l’Europe. La Grande-Bretagne industrielle ne vient en tête (pour la valeur) qu’avec ses produits traditionnels, les cotonnades (£ 296 350)1 et les lainages (£ 94 000), les machines (£ 116 079), les sacs de jute (£ 108 000 y compris l’Inde). Mais voici l’Allemagne qui lui fait une rude concurrence, même pour le charbon (£ 20 000, contre £ 30 000), qui lui ravit la majeure partie de la clientèle pour les produits chimiques (£ 85 000), les vêtements (£ 22 000 et l’Autriche-Hongrie £ 26 000), les objets en fer (£ 88 000), les métaux (£ 60 000), les peaux et les cuirs (£ 50 000), qui la serre de près pour les lainages (£ 91 000). La Guerre n’est point défavorable, en dépit de la situation générale, à ce commerce d’importation. Salonique devient une base pour les armées alliées, qui débarquent en octobre 1915. L’armée d’Orient est évidemment une grosse consommatrice, et le principal fournisseur devient alors l’Italie : celle-ci est la grande pourvoyeuse des aliments et des boissons, des vêtements, des objets de toutes sortes. Dans la liste des marchandises importées à Salonique durant le premier semestre 1918, nous trouvons plus de 573 000 okes2 de riz, plus de 508 000 okes de vin, plus de 980 000 okes de fruits secs, plus de 96 000 okes de légumes, plus de 31 000 okes de conserves (sans compter 40 000 boîtes). La population prend sa part, à côté de l’armée : on trouve par exemple 46 000 okes d’oignons, 21 000 chapeaux, 268 000 mètres de cotonnades, 13 000 mètres de tissus de soie, etc. Une note du Bureau commercial de l’Armée française d’Orient signalait la nécessité d’expédier pour la population civile des légumes secs, des vêtements et des étoffes, des cuirs pour chaussures, du papier, des matériaux de construction, des sacs pour le tabac et les raisins secs, de la droguerie, etc.. C’est dire qu’après la Guerre se posait, ici comme en maints endroits de l’Europe, le problème du ravitaillement. Dès l’effondrement de la Bulgarie et la réouverture de l’arrière-pays macédonien, on voit affluer au port de Salonique d’immenses quantités de produits : par exemple pour le seul mois d’octobre 1918 (le premier mois de paix pour ces régions), 6 788 688 okes de blé, 567 629 okes d’autres céréales et 1 773 869 okes de farine, 42 252 okes de draps de coton et 14 816 okes de vêtements de coton, 22 643 okes de papier, et le reste à l’avenant. Un tel mouvement, exceptionnel, ne pouvait se maintenir. L’afflux des réfugiés allait cependant lui donner un nouvei essor : presque tout l’outillage nécessaire à la construction des nouveaux villages, qui n’était pas pris sur place, arriva à Salonique ; presque tout le cheptel de reconstitution était amené par la même voie. Nous avons vu, par ailleurs, l’importance de ce matériel et de ce bétail. Au fur et à mesure que la colonisation se faisait stable, les besoins anormaux disparaissaient, mais les réfugiés devenaient des clients pour les fournisseurs du dehors. Dès que fut créée la zone franche, le port de Salonique faisait une singulière fortune. Pourtant le marché local restait approvisionné d’une autre manière. Il faut donc distinguer dans les statistiques les matières destinées à la spéculation commerciale et celles qui sont réclamées par la consommation urbaine ou régionale, et ce n’est pas toujours commode. D’une façon générale, on peut considérer comme ces dernières les marchandises déchargées et dédoua- 1. Chiffres de 1911. 2. 1 oke = 1 kg. 28.