LA COURONNE DE VENISE tures de magasins, malgré leur aspect misérable, ont l’air d’être étrangères dans les ruelles désertes où l’on a presque peur du bruit que l’on fait. L’âme du passé flotte autour des anciennes demeures. Et, vraiment, rien n’est poignant comme ces intérieurs d’antique cité où rien n’a bougé ; le contraste frappe surtout lorsque, au sortir des quartiers neufs tout radieux de s’étaler au soleil, on pénètre dans la ville d’autrefois qui étouffa pendant des siècles entre la colline et les remparts. Les façades y prennent, comme les vieillards, ces graves visages où se lit, avec la tristesse d’avoir vu trop de choses, une pensée sans cesse tournée vers la mort. Après les dernières maisons, on monte le long des murailles roussies qu’une chaude lumière console dans leur abandon. Entre les pierres disjointes, poussent ces herbes fines et ces mousses qui croissent seulement dans la solitude. De la terrasse qui précède le château, on découvre un magnifique panorama sur toute la plaine trévisane et la vallée du Piave, dont le cours se ralentit à l’approche des lagunes qu’on aperçoit à l’horizon, par les temps très clairs. Au-dessus des champs flotte déjà la délicate brume de Venise. Au nord, la vue s’étend jusqu’aux premiers contreforts des Alpes, sur une série de verdoyants coteaux et de montagnes boisées, parsemées de villas et de bourgs groupés autour des campaniles. Les versants — 118 —