LA PLAINE DU VENETO Vierge trônant entre saint Christophe et saint Joseph ; la Vierge, qui couvre de son manteau quatre donateurs, a un visage délicieusement enfantin, et le paysage, où l’on reconnaît Pordenone, est d’une grâce exquise. Mais enfin, tout cela ne suffit pas pour bien juger l’artiste ; si je n’avais vu ses fresques de Crémone et de Plaisance, je me ferais une très fausse idée de celui qui eut l’ambition d’égaler Titien, et dont la peinture brutale, violente, dramatique, désordonnée, prouve la vérité, pour les artistes comme pour les écrivains, du mot de Buffon : « Le style, c’est l’homme ». Notre peintre, en effet, batailla toute sa vie avec les uns et les autres, même avec son frère, et il est probable qu’il mourut empoisonné par un ennemi. Chez lui, la puissance et le mouvement font parfois penser à Rubens ou même à Michel-Ange qui, paraît-il, appréciait fort son talent. Nul, en tout cas, n’eut de son temps plus de virtuosité ; sans accepter à la lettre le récit de Vasari qui parle d’une enseigne de magasin exécutée par l’artiste en quelques minutes, pendant que le commerçant était à la messe, il est certain qu’il eut une extraordinaire facilité et cette bravura du pinceau, si nécessaire au frescante. Mais ne cherchez, dans l’œuvre de Pordenone, ni grâce, ni mesure, ni pensée surtout. Tantôt il imite Giorgione, tantôt Palma, tantôt Titien ; suivant la juste remarque de Burckhardt, il est toujours superficiel, et, dans ses meilleures créations, il n’y a pas — 107 —