LA COURONNE DE VENISE nues ; mais peu à peu, le jardin s’agrandit. Une brume impalpable monte de la terre chaude, estompe graduellement les formes, met du mystère autour de nous. Avec l’ombre, l’amour prend je ne sais quelle subite gravité ; les mains s’étreignent avec plus d’émotion. Dans le silence des choses, on ne parle plus. Ah ! langueur des soirs italiens dans les parfums ! Ah ! douceur d’être deux quand tout s’efface et semble mourir pour quelques heures! Sans un cœur près du mien, je ne pourrais attendre la nuit dans ce jardin. Et je songe au vieux Dumas qui, à la tin de son Voyage en Suisse, arrivé sur les bords du lac Majeur, éprouve, dès le premier soir, l’effroi de la solitude et trouve alors cette jolie formule: « Espérer ou craindre pour un autre est l’unique chose qui donne à l’homme le sentiment complet de sa propre existence. » Dans le tumulte et l’agitation des jours, nous ne sentons pas l’isolement; mais, dans la paix vespérale, nous ne pouvons plus le supporter. Le vent est tout à fait tombé. Le jet des hauts cyprès s’est figé dans le ciel noir. Au loin, une fontaine dit son éternelle et monotone chanson. Tout à coup un cri rompt le silence. C’est un rossignol attardé que retient sans doute le charme tranquille de ce jardin d’été. Nous ne l’apercevons pas; il doit être dans un massif de lauriers-roses, sur une branche que nous voyons remuer. Il s'essaie d’abord timidement, redit la même note, à — 120 —