LA PLAINE DU VENETO sont couverts des vignobles célèbres qui donnent un vin légèrement pétillant et parfumé ; nulle part les vignes ne sont mieux cultivées qu’autour de Conegliano, très fière de son école royale de viticulture. Au loin, le soleil qui meurt dore un de ces gros nuages cotonneux où les Grecs croyaient que les immortels se cachaient pour traverser l’azur et qui servirent ensuite aux peintres de toutes les écoles pour représenter les scènes où Dieu descend sur terre. Les rayons glissent entre les créneaux et les arbres comme des écharpes de rêve. Les cimes des hauts cyprès, sous le vent qui peu à peu s’apaise avec le soir tombant, se balancent à peine sur le ciel éblouissant, pareilles aux mâts d’un navire doucement bercé par une mer calme. C’est l’heure irréelle où les choses se parent de toutes les gammes lumineuses du rose, de ce rose fugitif et passager, qui n’est pas une vraie couleur et rappelle la teinte incertaine de ces fleurs si peu colorées qu’elles semblent, dans un bouquet de fleurs rouges et blanches, comme un reflet adouci des unes des autres. A travers les grilles, la cour intérieure du château sourit si aimablement que j’ai envie d’y pénétrer. Une légère buonamano a raison des scrupules du gardien. Nous pourrons rester jusqu’à la nuit dans ce vieux jardin si évocateur avec ses cyprès, ses lauriers-roses, ses murailles de briques rouges qui s’avivent encore aux dernières lueurs du jour. Les allées sont étroites et mal entrete- — 119 —