LA COURONNE DE VENISE invite Musset à un pareil déjeuner, en ce même lieu, plus tard... « Dans ce temps-là, tu sauras tout; la vie n’aura plus de secrets pour toi. Tes cheveux commenceront à grisonner, les miens auront achevé de blanchir ; mais la vallée de Bassano sera toujours aussi belle... » Puis, elle part vers le Tyrol;il semble qu’elle veuille gravir des montagnes inaccessibles et franchir des cols inexplorés. En réalité, elle n’alla que jusqu'à Oliero, à douze kilomètres de Bassano ; et, par Possagno, qui lui fournit l’occasion de tirades sur Canova, elle revint à Trévise, dans une voiture traînée par des ânesses, assise entre des chevreaux qu’un paysan transportait au marché. Elle déclare avoir dormi fraternellement avec les innocentes bêtes qui devaient tomber le lendemain sous le couteau du boucher. « Cette pensée, ajoute-t-elle, m’inspira pour leur maître une horreur invincible, et je n’échangeai pas une parole avec lui durant tout le chemin. » Dans l’œuvre de George Sand, j’ai toujours eu un faible pour ces lettres vénitiennes, écrites à trente ans, confidences d’un esprit souffrant que torture le doute. Au milieu de mille dissertations sur les sujets les plus divers, on assiste, dans leur sincérité émouvante, aux constantes luttes d’une âme passionnée contre les entraves de la société et les servitudes de l’opinion. On y trouve déjà cette idéalité voluptueuse, qui est au fond de toute son œuvre comme de toute sa vie, et surtout son ardent — 80 —