LE « DE CUJUS » io3 tous ses actes apparaissent ainsi comme autant de bienfaits personnels de l’Empereur. Et la seule faute politique connue en ce régime quasi mystique, c’est la parole ou la pensée qui contrarierait le père commun de tant de sujets. Quel impie serait assez dépourvu de cœur et de sens politique à la fois pour résister au charme de cette vie viennoise, brillante et un peu indolente, aux plaisirs élégants et nombreux, dans la tradition musicale la plus riche et la plus illustre du monde, au centre d’une couronne de peuples magyars et slaves qui jettent sur l’Empire comme un reflet d’Orient? Quelle douceur de vivre ainsi sous un monarque dispensateur de tous ces biens ! Et quel blasphémateur refuserait au maître, à la Cour, aux grands seigneurs qui gouvernent cet empire une vénération surveillée par une police héritée de Metternich ? Or, cette police, gardienne de tant de félicités, est depuis dix ans pour la paix de l’Europe une menace audacieuse et sans cesse renouvelée. Elle est, dans la famille germanique, la sœur cachée du militarisme prussien, l’esclave qui dans les drames souffle la fourberie et prépare les poisons. Unissez ensemble les imaginations policières les plus fécondes, d’Edgard Poe à Sir Arthur Conan Doyle, amassez les intrigues, mêlez les fourberies, embrouillez les aventures, vous n’obtiendrez rien de plus riche que l’œuvre de la police autrichienne depuis dix années. Trouvez-vous peut-être que j’exagère et que j’accorde trop au goût du romanesque historique? Relisez seulement l’histoire des récentes années dans les pays yougoslaves : c’est une succession de complots et de procès politiques.