LES « MUETS )) AUTRICHIENS 153 Sauver l’Autriche, abattre l’Autriche, peut-être y a-t-il là quelque impropriété de termes. Scrupule qui n’est pas seulement grammatical. Pour conserver l’Autriche, il faudrait d’abord la ressusciter. Pendant les dernières années du défunt Empereur, 011 pouvait penser que l’Autriche était morte. Elle ne succombait pas aux victoires russes, abattue par les coups des puissances ou victime d’un traité de paix vengeur de la guerre; l’empire d’Autriche disparaissait pendant la guerre elle-même, sans avertissement au monde ni communiqué à la presse. 11 expirait doucement, parmi le fracas universel des armes et des peuples entre-choqués, comme un dernier rejeton d’une race illustre et vieillie qui s’étein-drait sur son lit de parade, dans la salle obscure d’un château perdu, entouré de ses proches, oublié de ses amis, abandonné de ses sujets. L’autorité politique usurpée par les Hongrois, l’armée commandée par les Prussiens, la Monarchie vidée de ses sujets et tous les peuples tournant leurs regards, leurs espérances, leurs affections vers d’autres maîtres, les uns vers l’Allemagne, les autres vers l’Entente, que restait-il qui fût proprement autrichien, qui conservât le sens de ce vieil empire plus puissant par sa diplomatie que par ses armes, respecté pour ses mœurs antiques et aristo-cratiques; pour son génie brillant et indolent, familier de l’Église catholique et fort comme elle par ses traditions et sa persévérance ? Si Metternich ressuscitait, rappelé à la vie par le sentiment puissant des difficultés diplomatiques, sans doute ne serait-il pas trop surpris de voir en flammes une Europe depuis longtemps infidèle à la Sainte-Alliance.