96 DE LA SUCCESSION d’aUTRICHE survivait dans une sérénité implacable et glacée, au milieu du massacre universel qu’il avait déchaîné. Il était retranché du nombre des humains par cette dureté, cette incroyable insensibilité, avant de l’être par la mort. La fertilité tragique de sa destinée nous fait passer, à travers l’histoire de sa vie, d’é-tonnements en épouvantes; j’admire qu’étant un jour parvenu à mourir il n’ait pas choisi pour cette fin une catastrophe nouvelle, imprévue, à rendre petites les imaginations de Shakespeare. Depuis son avènement au trône des Habsbourg en 1848, on cherche en vain, en Europe, les peuples ou les dynasties à qui il n’avait pas fait la y uerre. 11 avait combattu successivement ses alliés et ses ennemis ; ses armes avaient fait couler le sang de ses peuples entre-clioqués. Ayant épuisé la somme des malheurs publics, et toujours couronné, il tournait contre ses proches la fureur de l’Erinnye qui conduisait son destin, atteignait son frère, sa femme, son fils, dévastait sa famille, ruinait, exilait, dispersait les archiducs, dont le dernier, celui de Sarajevo, disparut dans une intrigue de cour mêlée à un complot politique. Insensible toujours, il n’avait d’oreilles, il n’avait de faveurs que pour les conseillers audacieux et fourbes qui ourdirent, sur ce premier complot de l’assassinat, la trame du deuxième complot de l’ultimatum à la Serbie. Enfin ce vieillard, courbé sous le poids de tant de malheurs et jamais accablé, prononça, avec son impériale et royale dureté, le mot qui fit sortir à la fois du fourreau tous les glaives de l’Europe. II appelait les massacres, la guerre et l’invasion sur trois fronts de son empire. Et il survécut!