IMAGES VÉNITIENNES Me voilà donc. Tournerai-je à droite ou à gauche? Je ne sais, car je vous aime toutes, ô Zattere, de la pointe de la Dogana à la Calle del Vento! Je vous aime aux Incurabili comme aux Gesuati et au Ponte Lungo et à cet endroit où il y a un vieux palais dont le marteau de porte est un Neptune de bronze qui dompte de chevaux marins. C’est là, je crois bien, que j’irai m’adosser pour fumer un de ces âcres et minces cigares que l’on coupe de l’ongle par le milieu avant d’en allumer une moitié. Oui, car il fait doux, ce matin, et le ciel est pur. Les bateaux que l’on décharge sur le quai gémissent sourdement à leurs amarres. Partout ailleurs qu’ici la vue d’un port et de ses navires donne des pensées de départ et de voyage. Mais qui songe à quitter Venise? En vain les coques gonflent leurs flancs et les mats balancent leurs cordages. Où pourrait-on être mieux que le dos à ce marteau de bronze et les semelles à votre sol, ô Zattere ? J’ai entendu le canon de midi. Les cloches sonnent. J’ai reconnu celles des Gesuati, de San Trovaso et de la Salute. Celles de Redentore, de Santa Eufemia et des - 38 —